Page 59 - VH Magazine N°110 - Juin 2012
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Michel
Haddi
L'ATTRAPE-RÊVES
Alchimiste des temps
modernes, Michel Haddi
Pouvez-vous revenir sur votre de cinéma. On avait une télévision en noir et blanc
est un photographe parcours et la manière dont vous êtes et donc, même les mauvais fi lms paraissaient bien
aux origines algéro- devenu l’un des photographes les à l’écran. Je n’oublierai jamais la lumière utilisée
marocaines qui a su plus prisés au monde ? dans un fi lm en particulier : Ninotchka, avec Greta
Mon parcours est à la fois simple et compliqué. Garbo dans le rôle de la reine Christine.
transfigurer la réalité de
Je suis devenu photographe car je n’ai pas osé être
son époque. Au cours cinéaste. Néanmoins, j’ai toujours été attiré par la A l’âge de 22 ans, vous vous installez
de ses quarante ans de photographie et par les femmes. Et si je n’avais pas à Londres pour travailler comme
réalisé cet objectif, à savoir devenir photographe assistant du grand photographe Ben
carrière, il a capturé l'air
ou réalisateur, je serais devenu gangster. Ma mère Lee. En quoi cette expérience vous
du temps en sachant était femme de chambre d’origine algérienne a-t-elle été bénéfique pour apprendre
être à chaque fois au bon immigrée en France. Son père était un Marocain le métier de photographe ?
d’Oujda qui a traversé le poste-frontière Jouj Bkhal Je savais déjà ce que je voulais faire. Ben
endroit, au bon moment.
pour aller travailler en Algérie. Il y a rencontré Lee m’a enseigné la technique dont j’avais besoin
Que ce soit de jeunes ma grand-mère qui était d’origine turque et l’a pour réussir dans le métier. Je pense qu’avoir été
anonymes sur les plage épousée. Mon père, je ne le connais pas. C’était élevé dans un orphelinat m’a renforcé de sorte
d'Agadir, des célébrités un soldat français qui a eu une liaison avec ma que rien ni personne ne pouvait m’empêcher
mère mais ne l’a pas épousée. Nous sommes d’atteindre mon objectif qui était de réussir dans
hollywoodiennes à
dans les années 1950 à Paris et, à cette époque, la vie. En effet, je me suis juré très jeune que si
Los Angeles ou des une union entre une musulmane et un français je n’arrivais pas à devenir photographe pour
mannequins appelés à catholique n’est pas quelque chose de concevable. Vogue Magazine à l’âge de 25 ans, j’arrêterais
J’ai donc été placé à ma naissance dans un ce métier. Ceci parce que mon modèle, le
devenir les visages de la
orphelinat car ma mère ne pouvait pas subvenir photographe français Guy Bourdin, avait
mode de demain, Michel à mes besoins. J’y suis resté jusqu’à l’âge de neuf commencé à travailler pour Vogue à cet âge-là.
Haddi nous donne à ans. On peut dire que je n’ai pas eu les meilleures Je voulais faire pareil et j’y suis arrivé.
cartes pour démarrer dans la vie. Ma chance a été
percevoir ce que l'on ne
d’oser. Car c’est en osant que les choses arrivent Au début des années 1980, vos
voit pas avec les yeux. Et d’elles-mêmes. Que ce soit ma carrière dans les photographies sont publiées dans
en cela, son travail relève plus grands magazines au monde ou mon travail un certain nombre de magazines à
du fantastique. avec les plus grandes célébrités, tout est question la mode. Vous déménagez à Paris en
de douceur, d’élégance et de précision. Pour 1983 et vous avez votre premier grand
fi nir, ma mère est berbère, donc je dois tenir ma contrat avec Vogue Homme, suivi du
PAR OMAR MRANI ténacité de mes origines chleuh ! (Rires) Vogue Italie et de Liena Italiana. Vous
© MICHEL HADDI
shootez aussi des campagnes pour
TIRAGE PHOTO: Vous avez voulu devenir photo- Givenchy et Replay. Quelles étaient
RICHARD CHAN graphe dès un très jeune âge. D’où vos influences ?
vous est venue cette ambition ? Elles ont toujours été les fi lms de cinéma et
Ma mère m’a repris de l’orphelinat à l’âge le sont encore aujourd’hui. Le seul photographe
de neuf ans. A cette époque, elle travaillait dans dont le travail me passionnait est Bourdin, parce
un hôtel parisien très chic et elle me ramenait qu’il avait cette même obsession que moi pour les
des exemplaires de Vogue Magazine. Même si fi lms, ce « gloss » hollywoodien. J’admirais aussi
j’aimais regarder les fi lles sur les couvertures, ce Richard Avedon car il était pareillement infl uencé
que je voulais vraiment, c’était devenir réalisateur par le cinéma, mais d’une manière différente.
Juin 2012 VH magazine 59