Page 29 - VH Magazine N°136 - Janvier & Février 2015
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Et Bastaoui, pour ceux qui le connaissent de très près, n’était précis, avec juste ce qu’il faut d’hésitation
pas homme à incarner n’importe quoi. Il lui fallait le bon pour rendre les personnages qui se meuvent
sujet, le caractère trempé d’un personnage complexe. Ou dans des espaces imaginatifs illimités,
alors, il se débrouillait pour le retravailler, apporter des encore plus vivants, plus vulnérables, plus
retouches, suggérer au réalisateur tant humains, à l’image de ce que lui-même était
d’idées pour faire d’un simple person- Il faut dire qu’en dehors de sa formation dans sa vie de tous les jours.
nage, un archétype à part entière. C’est au théâtre, de son travail acharné pour Que du chemin parcouru depuis Masrah Al
là, la marque des grands, ceux qui peaufiner son art, toujours avec ce goût Youm, créé dans les années 80. Puis cette
travaillent pour la postérité. Tous ceux d’inachevé propre aux grands artistes, qui union sacrée avec son ami Mohamed Khouyi
qui deviennent du coup des passeurs vivent selon leur cœur et non pour briller la troupe « Masrah Achams », qui a connu un
de relais. En termes d’héritages et de sous les feux de la rampe, Mohamed franc succès durant plusieurs années. Puis
coups de pouce, Mohamed Bastaoui Bastaoui, était un homme habité. Et une viennent les grands rôles pour le cinéma
passe pour un homme dont la besace a encyclopédie ambulante. Cela se sentait où il a laissé vvoir toute l’étendue de son
toujours servi aux autres. Tous ses pairs, quand on entamait une conversation avec savoir faire. On l’a vu magnifqiue dans «
acteurs et actrices à qui il prodiguait ce fils du pays pur jus. Visages, personnages, Adieu Forain » de Daoud Aoulad Syad, « Les
ses conseils. C’est sa manière à lui de anecdotes, dates, nostalgie d’antan, tout mains rudes » de Mohamed Asli, « Mille
passer le relais, de renvoyer l’ascenseur, refaisait surface pour redessiner une autre mois » de Faouzi Bensaïdi, « Taza » de Daniel
de faire en sorte que ce qui l’a servi à manière de parler de cinéma et d’art. Rien Gervais et cette année dans « L’orchestre
lui pour réussir serve d’exemple, de d’anormal pour un acteur qui a interprété un des aveugles » de Mohamed Mouftakir,
chemin à suivre pour d’autres. nombre incalculable de rôles, toujours avec projeté en compétition officielle au festival
de Marrakech. C’est le même souci de préci-
sion, d’efficacité et de générosité qui préside
à l’acte de donner forme à des personnages,
qui semblent vivre d’une vie propre, sans
lisière ni contours. Mais ils sont tous puisés à
même le cœur, à même le vécu d’un homme,
qui est resté humble, modeste, au plus près
de lui-même et des autres.
Mohamed Bastaoui a laissé son empreinte
dans d’autres productions comme chez Saad
Chraïbi dans « Soif » et « Jawhara », Kamal
Kamal dans « Tayf nizar », Mohammed
Ismaïl dans « Et après ». Il a aussi joué
dans « What A Wonderful World ». Il a aussi
inscrit son nom dans deux fi lms intéres-
sants de Daoud Aoulad Syad «Tarfaya » et
« En attendant Pasolini», sans oublier son
rôle chez Mohammed El Asli dans « À Casa-
blanca les anges ne volent pas », puis avec
Farida Bourquia dans « Deux Femmes sur
la même exigence, sans se laisser avoir par la route » et Jilali Ferhati dans « Dès l’aube
Le grand Mohamed Bastaoui lors
les effets de mode ou les scénarii au rabais ». En 2013, il était à l’affi che dans « Sotto
de la cérémonie d'hommage qui
lui a été rendu, dans le cadre de que produit souvent le cinéma marocain. Voce » de Kamal Kamal, le film sacré grand
e
la 11 édition du Festival interna- Une carrière couronnée par plusieurs prix prix du festival national à Tanger. C’est dire
tional du film de Marrakech. dont cet hommage inoubliable au festival qu’avec une telle filmographie, c’est un
international du film de Marrakech en 2011. monstre qui laisse une grande place dans
Un hommage mérité pour un homme de le paysage cinématographique marocain.
cœur, un acteur généreux, un type bien, qui Mohamed Bastaoui est parti très tôt. Il laisse
avait un grand sens de l’amitié et du partage. certes derrière lui une belle carrière, un nom
D’ailleurs, quand on revoie la fi lmographie à graver en pierre bleue dans les annales du
de Bastaoui, on se rend vite compte qu’il cinéma au Maroc, mais avec sa disparition,
y a un fil d’Ariane qui lie tous ces projets. se tourne une page sur un type de comé-
Et surtout, on touche du doigt la marque diens à part. Un artiste complet, autodidacte,
de fabrique d’un comédien caméléon. Le connaisseur, un homme pour qui le cinéma
trait précis, la patte du créateur est là, sûr, était un mode de vie, une passion infi nie.
Janvier-Février 2015 VH magazine 29