Page 3 - VH Magazine N°136 - Janvier & Février 2015
P. 3
« ON VIT UNE ÉPOQUE FORMIDABLE ! »
Comme chaque matin, de passage chez mon buraliste
du coin, je remarque sous la verrière de son étale un
dessin de Reiser placé par ce dernier opportunément
comme pour afficher son sentiment sur les récents évènements
survenus en France : ces attentats qui ont pris le monde en otage. Sur
cette caricature, l’on voit un bonhomme dans une sorte de décharge
faite de boites de conserves éventrées, de flaques de pétrole et de
poissons englués. La tête rivée à un poste de radio d’où s’échap-
pent des notes de musique, notre bonhomme à le sourire jusqu’aux
oreilles. Au-dessus de sa tête, le regretté Reiser décédé en 1983, a
inscrit cette phrase qui n’a jamais semblé autant d’actualité : «On
vit une époque formidable ! » A la question de savoir la raison pour
laquelle mon buraliste avait disposé là ce dessin, ce dernier répond
que l’humour de Reiser, par son intelligence, son génie de l’observa-
tion et le fait qu’il ne croquait que des personnes ordinaires - jamais
les politiques et autres personnalités publiques- restait ce qui s’est
fait de mieux dans le genre. Une manière d’affirmer que le trait de
crayon qui tourne en dérision nos travers et les maux dont est perclus
le monde reste salutaire mais qu’il ne faut pas perdre de vue l’objectif
premier de cet art, faire réfléchir et prendre conscience. Si le but est de
choquer le chaland pour mieux vendre un titre moribond, l’on s’éloigne
ici de la critique constructive et l’on se fourvoie dans des attaques
ad-hominem stériles qui froissent sans pour autant apporter quoi
que ce soit de constructif au débat. Bien au contraire. Pour autant,
rien ne peut justifier l’ignominie de l’assassinat de personnes du fait
de leur opinion, à fortiori lorsqu’il s’agit de journalistes dans le cadre
de l’exercice de leur profession. Pour l’heure, face à ces évènements
tragiques et à leur reprise à leur compte par les tenants du clash civi-
lisationnel, l’on ne peut qu’être pris d’un profond sentiment de gâchis.
Espérons que cette année 2015 sera celle où les peuples, dans un
sursaut de survie, décident de travailler en bonne intelligence à une
meilleure répartition des richesses nord/sud car c’est
de la misère et du désenchantement que naissent les
extrémismes de tout bord. Bonne année.
Ayoub Qanir,
réalisateur à Los Angeles La rédaction