Page 26 - VH Magazine N°143 - Octobre 2015
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VH EXPRESS I I Un homme, un destin
SUR LES TRACES
D’IBN’ ARABI
«SCEAU DES SAINTS», «SULTAN DES GNOSTIQUES», IBN'ARABI EST POUR LE SOUFISME DEPUIS HUIT SIÈCLES muhammadienne. Il dit avoir reçu les Gemmes
UNE RÉFÉRENCE DOCTRINALE MAJEURE. MAIS LOIN D’ÊTRE RESTÉ CANTONNÉ À L’INTÉRIEUR DES FRONTIÈRES DE LA de la sagesse d’un trait, réveillé une nuit par
MYSTIQUE ARABO-MUSULMANE, IBN’ARABI ET SA PENSÉE SONT AUJOURD’HUI PORTÉS AUX NUES TANT PAR LES Mohammed (PBSL). La sagesse est représentée
par une pierre dont la forme représente la Tradi-
PLUS GRANDS ACADÉMICIENS OCCIDENTAUX QUE PAR DE PLUS EN PLUS DE GENS EN QUÊTE TOUCHÉS PAR LA GRÂCE
tion ; alors que la pierre est la même pour tous,
D’UNE PENSÉE COMPLEXE CERTES, MAIS DES PLUS FASCINANTES. PAR OMAR MRANI
elle est taillée différemment selon les formes
prophétiques dictées à Abraham, Jésus ou
étaphysicien visionnaire surnommé Fâtima de Cordoue qu’il considère comme Mohammed (PBSL).
Al-Shaykh al-Akbar, «le plus grand sa « mère spirituelle » et il est particulière- En 1200, Ibn’Arabi quitte définitivement
Mdes Maîtres», Ibn’Arabi n’est pas, ment marqué par Shams Umm al-Fuqarâ l’Andalousie et entame un périple oriental,
cependant, un homme sans racine, sans (de Marchena). jusqu’en 1223. En 1202, il est à la Mecque.
histoire, sans patrie : son œuvre n’est pas Son érudition ainsi que le rang de son père lui Il connaît une théophanie en la personne de
séparable de sa vie – des étapes de son permettent de devenir secrétaire à la chancel- Nizhâm (Harmonie), fille de la famille qui
expérience intérieure mais aussi de la longue lerie de Séville. Il épouse alors une jeune fille l’accueille. D’après Henry Corbin, « la jeune
errance qui, d’ouest en est, lui fit traverser un fille fut pour Ibn’Arabi ce que Béatrice fut pour
monde musulman menacé, en Occident par La Dante ; elle fut et resta pour lui la manifestation
Reconquista, en Orient par les croisades. Ses terrestre, la figure théophanique de Sophia
compagnons ne sont pas des comparses, ni aeterna ». En 1203, il écrit les Illuminations
ses contemporains de simples figurants. Les de la Mecque (Futûhat al-Makkiyâ).
lieux où il séjourna, les événements qu’il vécut Il est à Mossoul en 1204, pour suivre
sont beaucoup plus que les détails anecdot- l’enseignement du maître soufi ‘Alî ibn Jâmi’.
iques du décor de sa quête. En un mot, la vie et Il reçoit de celui-ci le manteau, jadis reçu de
l’œuvre, de celui qui aura légué à la postérité Khezr lui-même. Au Caire en 1206, il est arrêté
quelques 846 ouvrages, sont indissociables. par les docteurs de la Loi. Libéré grâce à ses
relations, il quitte la ville pour retourner à la
UN PRODIGE ARABO-ANDALOUS Mecque où il retrouve Sophia aeterna.
Né à Murcie en 1165 d’un père descendant En 1210, à Qonya, en Anatolie, il a pour disciple
d’une longue lignée de notables et d’une mère Sadr al-Dîn al-Qûnawî, qui fut l’ami du grand
d’origine berbère de Tlemcen, Moheïddine Ibn mystique et poète iranien Jalâloddîn Rûmi et
’Arabi, espagnol musulman, d’origine arabe, mourut comme lui en 1273.
plus connu sous son seul nom de Ibn ’Arabi ou On le retrouve ensuite en Arménie, puis à
encore, « Ibn Aflatûn » (le fils de Platon), aura Bagdad, la Mecque, Alep et enfin Damas où il
marqué son temps par ses nombreux apports s’établit en 1223 jusqu’ sa mort en 1240. Il est
à la civilisation arabo-musulmane tant en sa d’une famille andalouse renommée, Maryam enterré au pied du Mont Qassioun. Une année
qualité de théologien, juriste, poète, méta- bint ‘Abdun qui représente pour lui “l’idéal de après la conquête de Damas par les Ottomans
physicien et maître arabe-andalou du taçawuff la vie spirituelle”. en 1516, Selim 1er, sultan de Constantinople, fit
islamique. Suite à une maladie au cours de laquelle il frôle édifier un mausolée et une madrassa à l’endroit
C’est à l’âge de 7 ans qu’Ibn’ Arabi s’installe la mort, il abandonne son existence de lettré de sa tombe.
avec sa famille à Séville. En 1779, son père et de haut fonctionnaire. Il a alors environ 25 L’œuvre qu’Ibn ‘Arabi aura laissé derrière lui est
organise une rencontre entre Ibn’ Arabi alors ans et s’oriente vers la voie spirituelle (tariqa). considérée comme le sommet de l’ésotérisme
âgé de 14 ans et le philosophe aristotélicien Il la débute par une retraite de neuf mois sous islamique. Elle marque de ce fait une date dans
Averroès (Ibn Roshd) à Cordoue. Dans les illu- la direction du maître spirituel Abu Dja’far l’histoire de ce courant. Il la présente comme
minations de la Mecque, Ibn’ Arabi raconte al-’Urayni. Ibn ‘ Arabi orientera sa vie vers la somme la plus complète et systématique de
avoir à nouveau rencontré Averroès lors d’une l’approfondissement des études métaphy- l’ésotérisme musulman. Des penseurs occiden-
extase. En 1198 il assistera à ses funérailles, siques et fera la rencontre de plusieurs maîtres taux comme Guénon ou Schuon le considèrent
à Cordoue. Ibn’ Arabi se forme lui-même aux spirituels. comme une des expressions privilégiées de la
différentes formes des sciences islamiques et “philosophia perennis”. Selon Roger Deladrière,
acquiert des connaissances considérables par LA RÉVÉLATION DE FÈS Ibn ’Arabi est l’auteur de « l’œuvre théologique,
la lecture de différents maîtres. Adolescent, En 1196 à Fès, âgé de 31 ans, selon la tradi- mystique et métaphysique la plus considérable
il suit l’enseignement de l’amie de sa mère tion, il a la révélation du sceau de la sainteté qu’aucun homme ait jamais réalisée ».
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