Page 58 - VH Magazine N°151 - Juillet 2016

DOSSIER I I Les Marocains & le sexe

❛❛ SAMIA TAWIL, MUSICIENNE

“ LA FEMME MAROCAINE EST

PORTEUSE D'UNE SENSUALITÉ

TRÈS FORTE” PAR NADIA JACQUOT

Vous êtes d’origine marocaine et Syrienne. En ce qui concerne ma pochette d'album, je
Vous connaissez très bien le Maroc pour y n'ai en aucun cas pensé à instrumentaliser
avoir vécu quelques années. Fruit d’un beau mon corps au profit d'un message, mais plutôt

métissage, c’est certainement là où vous souhaité exprimer et représenter au plus près
puisez votre inspiration. Vous représentez de moi, au plus proche de ma «vérité », la
la beauté et la culture marocaine à travers manière dont les terres que j'ai traversées et
votre musique. En tant que chanteuse plutôt leurs douleurs sont marquées en ma chair. Il
rock/soul, vous avez su amener de la moder- s'agit de la métaphore d'une émotion, tatouée
nité dans l’univers musical marocain. Votre en soi, comme si l'on me voyait l'espace d'un
dernier album intitulé « Freedom is now » instant en transparence et qu'on lisait dans
est d’ailleurs le témoignage d’une envie mon âme. C'est la mémoire de la chair, une
de dénoncer les injustices sociales, bref mémoire indomptable. Quant à ces couleurs J'AI TOUJOURS ÉTÉ FASCINÉE PAR
d’exprimer le côté rebelle qui sommeille qui s'entremêlent, qui coulent, ce sont les
en vous. secrets entremêlés d'origines et de parcours LE RAPPORT AU CORPS DE LA FEMME
D’ailleurs, vous apparaissez sur de trop subtils pour ne se laisser saisir, contenir, MAROCAINE. EN EFFET, ON A TENDANCE
magnifiques photos quelque peu dénudées trop beaux pour être défi nis.

où l’on voit dessinés des drapeaux, dont celui À PENSER QU'AU MAROC, LA FEMME EST
du Maroc ou des écritures arabes ; d’autres Que pouvez-vous dire sur le rapport LIGOTÉE PAR LES TABOUS, PAR LE POIDS
plutôt teintées d’un métissage africano- qu’a la femme marocaine avec son
arabe. Ces photos sont expressives sans corps ? Ce qui vous fascine ? Ce qui D'UNE PUDEUR ARTIFICIELLE QU’ON LUI
aucune vulgarité. vous étonne ? Ce qui a évolué ? Ce qui IMPOSE. MAIS ELLE NE SE LAISSE PAS
Vous semblez assumer votre corps. devrait évoluer ?Avez-vous une anec-
dote à nous raconter sur ce thème ? ENFERMER ET EST, GÉNÉRALEMENT,
Quel rapport avez-vous avec votre Depuis l’enfance, j'ai toujours été fascinée FONCIÈREMENT LIBRE. LA FEMME
corps ? Est-ce un outil ? Un moyen par le rapport au corps de la femme maro-
d’expression ? caine. En effet, on a tendance à penser qu'au MAROCAINE EST PORTEUSE D'UNE
J'ai un rapport au corps très naturel, et en Maroc, la femme est ligotée par les tabous, SENSUALITÉ TRÈS FORTE, UNE PUISSANCE

même temps très sacré. Je pense que le par le poids d'une pudeur artificielle qu’on lui QUI, À MES YEUX, LUI DONNE UNE MAJESTÉ
ressenti, l'émotion, l'indignation, la rage, impose. Mais elle ne se laisse pas enfermer
lorsqu'on les laisse se manifester, sont et est, généralement, foncièrement libre. La PAR-DELÀ L’ESPACE ÉTRIQUÉ DANS LEQUEL
forcément physiques aussi, et le corps et sa femme marocaine est porteuse d'une sensu- ON PEUT PARFOIS CHERCHER
sensualité en sont les véhicules. Il est aussi alité très forte, une puissance qui, à mes
en cela le véhicule de nos prières, et peut yeux, lui donne une majesté par-delà l’espace À L’ENFERMER .
donc se faire moyen d'expression, mais je étriqué dans lequel on peut parfois chercher à
n'aime pas le terme d'outil. Le terme d'outil l’enfermer. Son monde, son quotidien est très
implique une certaine préméditation, ainsi charnel, que ce soit dans son univers familial,
qu'une idée d'aliénation qui me déplaît; «ce sa vie sociale ou amoureuse. A propos femmes n'osent même pas se regarder dans
corps, que je me traîne, tiens, je pourrais d’univers charnel, je ne peux m’empêcher les yeux lorsqu'elles se parlent dans les vesti-
m'en servir pour…» . Non. Au contraire, le de penser au Hammam, où les femmes se aires de gym! Une anecdote toute simple qui
corps ne devrait pas être vu comme un boulet retrouvent entre elles à huis clos, dans un illustre bien cette asymétrie entre le naturel
que l'on traîne, mais au contraire, comme monde qui n'est plus que le leur, dans une avec lequel la femme marocaine aborde son

part intégrante de ce que nous sommes en complicité qui m'a toujours émue depuis corps, et l'artifice avec lequel la femme occi-
tant qu'êtres humains, un témoignage de nos l’enfance, dans un échange d'énergie qui a dentale considère le sien: de retour au Maroc,
âmes, une célébration du tracé mystique. presque trait au sacré, alors qu'en Europe, les durant mon adolescence, j'avais gardé mon

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