Page 52 - VH Magazine N°192 / OCTOBRE & NOVEMBRE 2021
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GRAND ANGLE I I Harcèlement sexuel
font taire les victimes de peur
de détruire la cellule familiale.
Le #masaktach (« je ne me tais
pas ») – prononcé au féminin –
tente de dynamiter ce mur de
la honte et de la bienséance.
C’est une réponse à l’injonction:
Tais-toi ! Lorsqu’une femme
crie son indignation, l’Autre (de
de la famille, de la religion, de
la tradition, de la société, etc.)
répond bien souvent : « sekti,
Hchouma. Sobri ». Des voix de
femmes marocaines se lèvent
pour dénoncer cette éduca-
tion traditionnelle qui exige
bien souvent, aux filles et aux
femmes, de se taire lorsqu’elles pas plaintes. C’est colossal. Vous à parler. Pour parler, il faut se
se révoltent, se rebellent ou se pouvez imaginer le pourcentage sentir entendue et en sécurité.
plaignent d’une injustice. Qui n’a au Maroc. Vertigineux. Il existe Le #metoo et le #masaktach
pas connu cette fameuse litanie «quand plusieurs facteurs qui empê- ont révélé combien de femmes
des mères – sobri benti, sobri chent de porter plainte contre un se sont tues. Au Maroc, l’invita-
– qui veut dire « prend sûr toi, je sors je agresseur. Porter plainte signifie tion a témoigner anonymement
sois patiente » traduction : « subi veux être est une démarche qui nécessite via le #masaktach, a permis à
et tais-toi !». Cette éducation de parler afin de dénoncer ce de très nombreuses femmes de
traditionnelle est d’une violence lIbre pas qui a été vécue et revenir sur ce partager leur expérience doulou-
inouïe qui contribue à légitimer courageuse» qui fait traumatisme. C’est une reuse tenue secrète. Ce mouve-
les violences faites aux femmes s’affIchent double violence : celui de l’avoir ment mondial de libération de
comme si cela devait faire partie vécu puis de devoir revenir sur les la parole est un tournant dans
de leur condition de femmes. Le sur les faits. Bien souvent elles veulent le mouvement du féminisme.
sacrifice des femmes sur l’autel murs de oublier et passer à autre chose. On peut se poser la question de
de la tradition a la peau dure. dIfférentes Mais le corps n’oublie pas. La savoir si la parole des femmes
De plus en plus de femmes, ne peur du regard des autres, le se libère ou bien si elle se fait
veulent plus se taire, ne veulent vIlles de jugement qui sera porté sur entendre que les dits-hommes
plus sbor. La société marocaine france elle contribue à faire taire. La le veuillent ou non ? Grâce à
est mise à l’épreuve de ces par les honte, la culpabilité et la peur l’outil numérique des réseaux
femmes tiraillées entre moder- sont des mécanismes puissants sociaux, la parole des femmes
nité et tradition qui aspirent à colleuses qui tétanisent la victime. Le s’écrit et se dit en «direct live »,
plus d’égalité, de respect et de fémInIstes. manque de formation des poli- elle est propulsé sur le devant de
dignité. A la société d’être à le ciers peut conduire les victimes la scène, dans une temporalité
la hauteur de cette libération à se détourner de la justice. Si accélérée propre à la toile du net:
de la parole des femmes qui harcèlement certaines parviennent à se saisir elle se propage à vitesse grand
émerge. sexuel de la justice, d’autres vont mettre V ! Parions que cela amène les
touche les des années avant de pousser la femmes à se sentir plus forte
Les victimes au Maroc (ou porte d’un commissariat. Il faut pour porter plainte !
ailleurs) ne portent souvent femmes dans du temps, voire des années
pas plainte. Pourquoi ? le monde pour qu’une parole puisse Comment faire face à la honte,
En France, plus de trois quarts entIer. émerger et se dire. L’accueil de au regard de la famille?
des femmes victimes présumées la plainte, la minimisation des La libération de la parole
de violences sexuelles ne portent faits, décourage les victimes des femmes qu’a suscitée le
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