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L’écrit est là pour compléter Voici donc une peinture qui
une telle partition complexe à REGARDER UNE TELLE ŒUVRE D’ART C’EST SANS AUCUN incite à la remise en question du
travers la technique du pochoir DOUTE SE FIER AU REGARD- MIROIR POUR EN CRÉER UN ENTRE- confort intéressé et dérange les
rétive à toute réduction lassante. stéréotypes déjà là. Et voici un art
L’enjeu de l’artiste serait sans DEUX QUI ASSURE LE LIEN ENTRE L’ART ET LA RÉALITÉ. qui dépasse les apparences des
doute de mettre en exergue une choses et le paraître des êtres
expérience personnelle qui part de l’intériorité vers un univers pour faire vivre une expérience de purgatoire intense démangeant
interrogeant l’humain dans ses alibis spirituels et mystiques tout esprit voué à la métamorphose. D’où la valeur inévitable du
sans se défaire de la chair du monde. L’écrit est, toutefois, caché regard et de l’œil. La toile de Laila Iraki est dédiée au regard et
et latent et ne peut être visible que lorsque le « regardeur » réduit la distance qui séparerait l’œil de l’œuvre, comme si nous
s’approche du tableau pour en faire l’expérience. L’œil écoute et avions à faire à un théâtre faisant fi de la scène. D’ailleurs, le corps
l’oreille regarde. C’est une véritable synesthésie baudelairienne du texte correspond à un autre challenge esthétique qui complète
qui nous invite à commettre ce mélange délibéré et cette synergie le credo du début, à savoir la fragmentation du corps proprement
sensationnelle ultra humaine. C’est dire que nous sommes devant dit. En fait, le morcellement du corps est bellement représenté par
une expérience individuelle tendant vers l’universel en nous dans la technique du blason mettant en scène des membres agrégés,
la mesure où chacun touche ses propres vérités une fois en contact des yeux disproportionnés ou encore des organes fragmentés.
avec l’invisible, l’occulte et le cabalistique. Regarder une telle Autrement dit, le corps est un lieu d’éclatement qui renforce non
œuvre d’art c’est sans aucun doute se fier au regard- miroir pour sans prudence les carcans d’un corps uni et absolu. Un jeu de
en créer un entre-deux qui assure le lien entre l’art et la réalité. plans complexes éclaire l’accomplissement de l’être et édulcore
Comme si le spectateur se sentait artistiquement hypnotisé sous la déchirure intérieure nourrie de déboires et de chutes. Ainsi, la
l’effet d’un tel mouvement de va-et-vient incessant débouchant connaissance spirituelle spirale sert de reflet et d’identifi cation
sur une pensée vertigineuse, car l’extase mystique n’est acquis et emmène l’individu à se complaire dans des vérités construites
qu’après les affres du voyage et de l’élévation. sous une lumière divine et une métaphysique désincarnée.
Mars 2018 VH magazine 117

