Page 50 - VH Magazine N°184 - Mai & Juin 2020
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GRAND ANGLE I I Covid-19
Journée mondiale du sport
Le retour de la solitude,
un essai sur l’humilité
Comment sera demain, se demandent les maroCains, et aveC eux trois milliards d’hommes et de
femmes, jeunes et moins jeunes tous Confinés depuis des semaines, souCieux, anxieux, ennuyés,
étourdis, abasourdis…? par lahCen haddad
e nid familial, berceau négligé lors de existentiel digne (quelques siècles plus
l’obnubilation par la modernité et les horizons tard) d’un Kafka, ou d’un Camus. Les
Lvastes de l’espace public, retrouve ses lettres philosophes, comme les poètes arabes,
de noblesse, non sans un grain de vengeance ! Les «errent dans chaque vallée», suivis de
êtres confinés, en famille certes, mais solitaires, le ceux qui perdent la boussole ! C’est
nez dans le petit écran mobile, surfant et navigant, pourquoi on prêchait la cohue ! Le social
aiment, partagent, chattent et attendent… est un fait de cohue !
Ce Godot qui doit arriver ! Ce demain Là, maintenant, en pleine pandémie,
dont rêvent les amoureux et les non déchiffrer puisque l’acte social se trouve c’est le retour du solitaire ! Un retour
amoureux ! Rien que ça : sortir, se derrière les murs, loin des yeux, loin à la cave ! Des petites hordes primaires
balader, prendre un café, faire le de la surveillance du sociologue ou du qui scrutent à travers les fenêtres l’acte
dandy à la Baudelaire. Oublions les politique… social en train de se réduire à un geste
rêves grandioses, ce rêve marocain Les seules ouvertures, au sens littéral furtif de sortie réprimée par la société
qui se dessine toujours à l’horizon et et figuratif, qui nous donnent une idée et le pouvoir !
qui peut arriver un jour. Oublions pour sur ce monde «d’êtres solitaires dans L’espace familial, le petit refuge
un moment ce rêve aussi grand que le nid familial» sont les «posts», les nocturne d’antan, redevient un repère !
l’histoire ! Imaginons juste le plaisir de «tweets», les partages, les «likes», les Un espace qui se redécouvre ; il renaît
pouvoir sortir, de pouvoir circuler, de commentaires, les photos, les vidéos, de ses cendres ! Le phénix se réveille !
dire bonjour ! Un Carpe Diem pour un toute la nébuleuse du virtuel, la constel- Il est aussi diurne, partagé, il n’est plus
jour qui arrive, qui va venir, que tout lation des tendances éphémères, des le domaine privé de la femme ! Une
le monde chérit et espère ! identités qui se forment et se défor- coexistence imposée ! Les hommes
Imaginons un peu ce qui se passe : ment, une cacophonie séduisante par apprennent à cuisiner, ou au moins
le retour de la famille, le pouvoir ses bruits, ses vagues, ses sons, son ils se font des «selfies» en train de
consolidé de l’État, la disparition (ou populisme primaire… l’essayer ! Le domaine public se vide !
plutôt la digitalisation) de l’espace Au temps du confinement, une autre La migration collective vers le foyer ! Le
public, et l’acquiescement de la quasi- culture se trace, une trame légère débat se transforme en voix virtuelles ;
totalité de la population ! La dérive d’expression se faufile, se manifeste, il est soudainement digital ! Que dirait
autoritaire dont parlent certains n’a s’impose ! La distance sociale ! Révolus Habermas de cette nouvelle dynamique ?
tenté personne ! Au moins au Maroc ! sont les temps où on demandait aux La sphère publique de l’ère digitale : des
Ailleurs on a laissé les démons faire gens de se socialiser, de se mêler, êtres confinés qui se parlent à partir de
un peu de «ménage» du côté des de se rapprocher… On avait peur des leurs caves familiales, les rues vides
têtes chaudes ! Chez nous au Maroc, êtres solitaires ! C’est anti-culturel ! «Il faisant écho de leur silence…
une nouvelle réalité, un nouvel ordre, penseroso» de Milton est une «aberra- Cependant, la terre sourit, les oiseaux
sanitaire et solidaire, mais difficile à tion» sociale, un acte anti-social, voire respirent mieux, les reptiles sortent
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