Page 46 - VH Magazine N°192 / OCTOBRE & NOVEMBRE 2021
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GRAND ANGLE I I Harcèlement sexuel
silence et cUlpaBilité
« Dans la majorité des témoi-
gnages, les femmes harcelées
mettent du temps à réagir ou à
en parler. De peur de ne pas être
prises au sérieux, d’être jugées
ou pire, d’être pointées du doigt
comme principales coupables.
« La loi fait une distinction
stricte entre harcèlement et
agression. Le harcèlement, ce
sont des paroles à caractères
sexuelles et l’agression porte
atteinte au corps. En psychana-
lyse, nous portons une grande
attention à l’effet traumatique
des paroles sur le corps. Dès
lors, la frontière est mince entre
harcèlement sexuel et agres-
sion sexuelle. L’impact des mots
peut être dévastateur et ne doit
en aucun cas être minimisé. en dépression même. J’étais victimes. Certaines se tairont
Combien de femmes victimes l’ombre de moi-même. Il me parce qu’elles ont appris à
de violences conjugales peuvent Il me menaçait de tuer ma réputation supporter l’insupportable. Le
dire que les paroles humiliantes menaçaIt si jamais je décidais de partir. fameux « sabri » intériorisé –
sont aussi virulentes que les de tuer ma J’avais besoin de mon salaire tel un leitmotiv hérité de notre
coups. Les mots restent à jamais et je savais qu’il allait m’empê- éducation – qui accompagne
et marquent le corps. Nous réputatIon cher d’aller travailler ailleurs. souvent les femmes à appré-
parlons de motérialisation pour sI jamaIs Il avait bien trop de pouvoir ». hender les évènements de la
mettre l’accent sur les mots qui En travaillant à distance, Sanaa vie. Soit la réalité intolérable
se matérialisent. L’impact des je décIdaIs gagne du temps. Son bourreau trouve un compromis par la voie
mots sur le corps fait trauma- de partIr. ne peut plus l’affecter, ne peut du symptôme – qui sont autant
tisme » explique Fouzia Taou- j’avaIs rien contre elle. « Je sais que de signaux d’alarmes pour se
zari, psychologue clinicienne et je gagne du temps. Je suis frayer un chemin afin de dire
psychanalyste. « Je n’ai jamais besoIn de encore en télétravail, il essaye ce qui est tu – soit c’est toute
réussi à en parler. Pendant des mon salaIre de m’attendre mais je suis plus la réalité du monde qui vole en
années, je me faisais harceler et je savaIs forte». éclat. Le harcèlement sexuel
par mon boss mais je ne pouvais est un attentat », continue la
pas en parler, je ne pouvais rien qu’Il allaIt a chacUne sa psychologue. Pour elle, prendre
faire. J’ai un poste de responsa- m’empêcher RéactiOn en charge une victime de harcè-
bilité, il est politicien. Il m’était d’aller « La façon de réagir est variable lement nécessite d’apporter des
impossible de parler. D’en parler et multifactorielle et cela réponses aussi bien juridiques
même. J’ai passé 5 ans à rentrer travaIller rend compte de la complexité que psychologiques. Beau-
chez moi, retrouver mon mari aIlleurs. Il psychique des vies humaines. coup de femmes, de par leur
et mes enfants, et de pleurer la La réaction dépend du degré de éducation, supportent l’insup-
nuit en cachette », confie Sanaa avaIt bIen vulnérabilité psychique, mais portable comme une fatalité et
qui a vécu le cauchemar jusqu’à trop de aussi de la précarité sociale une épreuve de Dieu. Réveiller
la période de confinement. La pouvoIr. et subjective. Une constante les consciences est une manière
pandémie m’a sauvé la vie. demeure, on ne peut pas prévoir de révéler les fils insidieux et
J’étais au bord de la dépression, à l’avance les réactions des ténus du harcèlement sexuel.
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