Page 110 - VH Magazine N°136 - Janvier & Février 2015
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DOLCE VITA  I I  Livresse

                 MOHAMED V, LE SULTAN,


                 A L’ÉPREUVE DU MYTHE






                 ET DE DEUX POUR GUILLAUME JOBIN, ÉDITEUR ET AUTEUR À SUCCÈS QUI SIGNE AVEC MOHAMED V   ni super-pouvoirs qui lui auraient permis
                 LE SULTAN SON SECOND TOME D’UNE TRILOGIE CHRONOLOGIQUE INTITULÉE LA FRANCE AU   d’apparaitre dans la lune et qui expliqueraient
                                                                                     l’exceptionnelle longévité de son règne (38
                 MAROC ET INITIÉE EN FÉVRIER DERNIER AVEC LYAUTEY, LE RÉSIDENT.      PAR OMAR EL MRANI
                                                                                     ans, 4 mois et 20 jours). Mais plutôt, sa formi-
                                                                                                dable intuitivité concernant les
                       vec son précèdent ouvrage, Jobin a                                        enjeux de son temps et sa
                       connu un succès retentissant voyant                                       propension à pouvoir tirer le
                 Ales ventes de son livre battre des                                             meilleur parti pour son pays
                 records sans précédents. Cette biographie                                       et à garder constamment en
                 marocaine du Maréchal Lyautey qui s’étalait                                     vue les intérêts suprêmes
                 de 1905 jusqu’au départ de ce dernier en                                        de la nation. D’où le sous-
                 1925 dépoussiérait les mythes, enfonçait                                        titre du livre « Ma liberté :
                 les portes des idées reçues et adressait les                                    celle de mon peuple et de
                 questions qui fâchent. Avec Mohamed V le                                        mon pays. » Cette capacité
                 Sultan, Jobin procède de la même manière                                        du Sultan à s’inscrire en
                 en s’attaquant cette fois-ci à la légende du                                    permanence dans l’action
                 second père de la nation marocaine moderne                                      et dans la responsabilité
                 en la personne du Sultan Mohamed V. Et                                          c’est bien donc ce qui fait
                 le moins que l’on puisse dire c’est qu’en la                                    de lui non pas un simple
                 matière, l’auteur, qui revendique d’entrée                                      politique mais un véritable
                 de jeu son indépendance et sa neutralité de                                     homme d’Etat de stature
                 journaliste dans le traitement de ce pan de                                     internationale. De Gaulle ne
                 l’histoire du Maroc si prompte à récupéra-                                      s’y est pas trompé qui l’a fait
                 tion, c’est que l’étude exhaustive effectuée                                    l’un des rares chefs d’état
                 par ce dernier de cette période charnière de                                    étrangers à être élevés au
                 l’histoire du pays qui s’étend de 1925 à 1945                                   titre de compagnon de la
                 réussit la prouesse de faire dissiper le halo                                   libération. Cet angle comme
                 de sainteté qui nimbait jusque-là le person-                                    l’on dit dans le jargon jour-
                 nage historique du Sultan Mohamed V pour                                        nalistique, c’est celui donc
                 lui donner une consistance humaine et nous                                      que Guillaume Jobin a
                 renseigner un peu plus sur le véritable rôle                                    choisi pour jeter un nouvel
                 qu’il a joué dans l’histoire du pays.                                           éclairage sur l’une des
                                                                                                 périodes les plus confuses
                 INTERROGER L’HISTOIRE                                                           de l’histoire et notamment
                 Reprenant une à une toutes les légendes et                                      celle particulièrement
                 contre-vérités propres à cette période trouble                                  déconcertante pour un
                 qui débute avec la guerre du Rif et s’achève   déposition le 20 août 1953. En effet, l’écrivain   pays sous occupation que celle du régime
                 avec la fin de la Seconde Guerre Mondiale,   écrit à ce sujet que c’est du fait de la nature  de Vichy. C’est ainsi donc que l’auteur reprend

                 Jobin en adresse chacune pour démontrer   même des politiciens radicaux-socialistes de  une à une tous les autres mots-clés qui
                 qu’en matière d’histoire, souvent le cliché   la IIIe République que le Résident Steeg de   aujourd’hui, dans le moindre débat, déchai-
                 erroné prend force de vérité inscrite dans   l’époque a choisi « le candidat le plus apte à   nent toutes les passions telles que la question
                 le marbre. A commencer par celle qui veut   gérer des compromis avec les autorités fran-  du Dahir berbère, la naissance du national-
                 que Mohamed Ibn Youssef a été choisi par   çaises, donc un homme plus politique que   isme marocain, les rapports des dirigeants
                 la résidence pour succéder à son père c’est   dogmatique, plus progressiste que conser-  de l’Istiqlal avec le Sultan, le Glaoui, Vichy
                 parce qu’il était plus malléable –entendez   vateur. » Tordant ainsi le cou à cette rumeur à   et le IIIe Reich au Maroc, les dahirs juifs, la
                 manipulable- que les autres sultans poten-  la peau dure, l’auteur va encore plus loin dans   conférence d’Anfa etc… C’est dire si ce livre est
                 tiels. A ce sujet, Jobin précise une information   son analyse jusqu’à conclure que la Résidence  essentiel pour qui veut comprendre le Maroc
                 capitale qui renseigne sur la qualité princi-  n’a dans les faits, qu’avaliser un choix qui avait  d’aujourd’hui. Et l’on a qu’une seule hâte une
                 pale de Sidi Mohamed. Celle-là même qui lui   été décidé par le Makhzen.  fois la lecture entamée, celle de se replonger
                 permettra de sauver son trône des terribles    La thèse qui sous-tend donc tout le livre de   dans le troisième tome qui viendra clore cette
                 épreuves auxquelles il aura à faire face durant   Jobin est de dire qu’en ce qui concerne le   passionnante épopée sous la plume du plus
                 son règne et qui auront pour point d’orgue sa   Sultan Mohamed V, il n y a ni hiba ni baraka,   marocain des auteurs français.


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