Page 98 - VH Magazine N°143 - Octobre 2015
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CULTISSIME I I  Portrait




                  RACHID SEBTI



                 L’ÉROTISME POUR FAIRE VALSER LES CLIVAGES




                 LE PLASTICIEN MAROCAIN, RACHID SEBTI, QUI VIT ENTRE LA BELGIQUE ET LE MAROC, PRÉPARE DEUX GRANDES EXPOSITIONS POUR LA SAISON 2015-
                 2016. UNE OCCASION DE REVENIR SUR UNE PEINTURE AUDACIEUSE, OSÉE, FORTE, AVEC UN ÉROTISME DÉCAPANT.           PAR ABDELHAK NAJIB



                         ans une lettre à celle qui                                        puisse dire d’où vient la lumière, car la
                         allait devenir son épouse,                                        lumière est essence corporelle, dans
                         Blathus, le grand peintre                                         cette émanation de la beauté dans le
                 Dsuisse,  écrivait en 1934,                                               songe.Plus on avance dans les travaux
                 "Aujourd’hui, l’érotisme dans un art est                                  de Rachid Sebti, plus on découvre que
                 la seule chose qui fasse encore sursauter                                 dans les toiles, on n’est jamais loin de
                 les pantins…”. Toute une vie sera vécue                                   la proposition labyrinthique du désir,
                 à vouloir sortir l’érotisme des carcans                                   avec des situations où l’espace donné
                 habituels autour de la libido primale.                                    à vivre pour ses créatures est à la fois
                 La sexualité dans ce qu’elle a de plus                                    un espace clos et ouvert. Il est même
                 profond, de plus créatif, de plus inspirant;                              dans certains tableaux, un espace
                 le sexe comme beauté, comme moteur                                        perspectif d'une projection dans le
                 de la vie; la femme et son corps comme                                    monde. C’est là où Rachid Sebti pose
                 hommage, comme émanation du beau,                                         la portée philosophie et ontologique
                 du bien, de l’éternité. Quand on se                                       de son travail sur l’érotisme, le corps
                 penche sur les travaux de Rachid Sebti,                                   et sa religiosité.
                 peintre marocain, qui compte parmi les                                    Nous  sommes  dans  une  plongée
                 plus connus en Europe, lui qui a passé                                    dans l’espace intime et  primal des
                 plusieurs décennies en Belgique, on est                                   sentiments humains avec un réel
                 frappé par la même puissance érotique.                                    penchant à laisser le non-dit caché, de
                 Il y a dans cette approche picturale une                                  ne jamais révéler, mais suggérer, en
                 telle connaissance technique qui fait                                     évanescence, comme l’affleurement
                 plier et la couleur et les formes dans une                                subtil d’une épiphanie.  Cette quête
                 féérie de corps où la femme est célébrée                                  du caché devient  le sens premier de
                 comme divinté.                                                            toute expression artistique. Ici, devant
                                                                                           ce travail, tout est pris dans un four-
                 FEU SACRÉ                                                                 millement de petits éléments, qui
                 Ce rapport à la femme et son corps chez   Mais dans cette féria du corps avec ce qu’il   fusionnent dans une expression plus
                 Rachid Sebti obéit à des rituels. Ce travail a   implique comme rêveries érotiques, il y a   large qui tente de décrire l’inachevé même du
                 un ancrage historique, identitaire, humain,   toujours une part d’insouciance, mêlée à une   travail donné à voir. En somme, ce que réalise le
                 universel. Les femmes de Rachid Sebti sont   certaine mélancolie certaine qui se dégage   peintre, c’est l’aboutissement du trait toujours
                 belles. Elles sont sensuelles. Elles  portent en   de ce théâtre immobile, sur fond de couleurs   en gestation. Comme l’amour, comme le désir
                 elles le feu sacré. Elles sont drapées de peu,   délicatement usées, où le peintre a su, avec   qui doit demeurer désir comme le disait, le
                 révèlent ce qu’il faut, nourrissent l’imaginaire.   beaucoup de tact, de candeur, de pudeur et   grand René Char. Et là, le corps même de la
                 Et on ne peut s’empêcher ici de se remémorer   de retenue,  mettre en scène l’étrange rela-  toile se démultiplie devenant pur geste pictural
                 ces extraits du poème de Baudelaire, « Lesbos»,   tion entre un peintre et ses couleurs et toute   qui nous fait dire : où commence le tableau et
                 qui fait partie des pièces condamnées tirées des   une histoire humaine tournée sur la volupté, le   où finissent ses multiples courbes, à travers
                 Fleurs du mal. On se rend compte en revenant   plaisir, la jubilation par la jouissance. Dans cet   les drapés des femmes, ces silhouettes allon-
                 sur la quatrième strophe, que plusieurs scènes   univers peuplé de femmes, il y a une couleur,   gées, offertes, abandonnées à la volupté d’être
                 des tableaux de Rachid Sebti,  relèvent essen-  une lumière, une luminosité qui va au-delà de   femme.  Rachid Sebti chante la beauté. Il en fait
                 tiellement du fantasme érotique: Lesbos, terre   ce qui est donné à voir.  un credo. Il offre l’amour en partage, dans une
                 des nuits chaudes et langoureuses, qui font                         célébration du corps féminin. En cela, il apporte
                 qu’à leurs miroirs, stérile volupté !  MÉTAPHYSIQUE DU CORPS        dans son sillage deux mille ans de travail sur
                 « Les filles aux yeux creux, de leur corps   Et ce qui définit cette luminosité est avant   le corps de la femme, depuis l’érection de la
                 amoureuses, Caressent les fruits mûrs de   tout d’être invisible. Les objets, les corps, les   première statue de la femme nue, en Grèce
                 leur nubilité ».                  visages sont phosphorescents sans que l’on   Antique.


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