Page 21 - VH Magazine N°146 / Février 2016
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A l’issue de ce Discours, un débat passionné et National des Droits de
passionnant s’est engagé autour du projet de loi l’Homme sur l’Etat de
portant Code de la Famille au sein de la Commis- l’égalité et de la parité
sion de la Justice de la Chambre des Représen- au Maroc, institution
tants sous l’égide du Ministre de la Justice, Feu constitutionnelle et
Med Bouzoubâa et du Ministre des Habous et qui est parfaitement
des affaires islamiques, Ahmed Taoufik. En tant dans son rôle, a été
que parlementaire et unique et première femme accueilli avec une
chef du groupe de l’Alliance socialiste au sein de nonchalance invrai-
la Chambre des Représentants, j’ai pu participer semblable par le
dans ce débat, aux côtés d’autres chefs de groupes gouvernement qui a
de l’époque, comme Driss Lachgar pour l’USFP et pris pour prétexte une
Mustapha Ramid pour le PJD. A ce titre, je souhaite recommandation rela-
apporter un témoignage à propos de trois points tive à l’égalité en héri-
qui ont marqué ces débats : tage, pour se laver les
D’abord, la résistance au changement était forte mains de l’ensemble
parmi les tenants de l’idéologie conservatrice et des 96 recomman-
les tentatives d’amender le projet de loi dans le dations émises en la
sens négatif n’ont pas manqué, notamment autour matière.
de la question de la tutelle (la question du wali). Autour de Sa Majesté le Roi, et de SAR le prince Moulay Rachid, on reconnait Feues Malika El Fassi, seule femme Quoi d’étonnant à
signataire du manifeste de l'indépendance, Lalla Fatima Zohra, présidente de l'Union Nationale des femmes Marocaines,
Deuxièmement, la société civile a pleinement joué et Zoulikha Nasri, Conseillère de SM le Roi ainsi que Nouzha Chekrouni ex Ministres, Badia Skalli, Latifa Jbabdi, Amina ce que le Maroc ait
son rôle de plaidoyer et de soutien à la réforme Lemrini, Rabéa Naciri, Aicha Echenna, en plus de l'actuelle ministre Bassima Hakkaoui et Nouzha Skalli. reculé de six places
du code de la famille pour laquelle elle se battait mineures à des circonstances exceptionnelles lors de la 10ème
depuis plusieurs années. En troisième lieu, il y a lieu et à l’autorisation des juges ! édition 2015 du Forum Economique Mondial à
de souligner que Sa Majesté le Roi suivait quasi propos de l’écart entre les genres classant le Maroc
quotidiennement la bonne évolution du débat afi n Le projet de loi censé traduire le débat au 139ème rang sur 145 pays !
d’assurer pleinement l’aboutissement de ce grand national, pourtant couronné par un arbitrage Aujourd’hui, plus que jamais, à l’occasion du
chantier de règne. Royal sur la réforme de la loi sur l’avortement n’a douzième anniversaire de l’adoption du Code de
Ainsi, le nouveau Code de la Famille, promulgué le 3 hélas toujours pas vu le jour. la Famille, notre pays a besoin de se ressaisir et
février 2004, a constitué une réforme structurante Le projet de loi 12-19 relatif aux travailleurs de prémunir le dossier des droits des femmes et
majeure en faveur des femmes et un véritable domestiques, constitue certes en soi un progrès, de l’égalité de toutes considérations politiciennes.
déclic pour la mise en place d’autres programmes mais n’a pas tenu compte des appels vibrants de Nous avons besoin de faire revivre le consensus
et stratégies visant la construction d’une société la société civile et de certaines parlementaires national pour lutter contre la violence et les discri-
juste et solidaire fondée sur les valeurs universelles pour interdire le travail domestique des mineures minations faites aux femmes. Nous avons besoin
des droits humains et de l’égalité tout en s’inspirant âgées de moins de 18 ans. de la volonté politique au plus haut niveau de
des finalités de notre noble religion l’Islam. l’Etat pour redresser la situation. Cette volonté
Aujourd’hui, douze années après l’adoption du Le Projet de loi sur la violence à l’égard des existe incontestablement chez Sa Majesté le Roi
Code de la Famille, les évaluations relatives à femmes est toujours pris en otage par le gouver- Mohammed VI qui est parfaitement dans son rôle
la mise en œuvre de ce Code font ressortir les nement malgré son contenu on ne peut plus timide, Constitutionnel en tant qu’arbitre suprême entre
avancées réelles et profondes mais aussi des et les résultats alarmants de l’enquête nationale les différentes institutions, veillant au respect et à
insuffisances qui méritent d’envisager une révision du HCP sur la prévalence de la violence faite la protection des droits et libertés des citoyennes
pour mettre notamment ce code en adéquation aux femmes. et des citoyens.
avec la nouvelle Constitution de 2011. Enfin, le projet de loi concernant l’autorité Notre société, et les femmes marocaines, ont plus
En relation avec la mise en œuvre de celle-ci, pour la parité et la lutte contre toute forme de que jamais besoin que se manifestent à nouveau
dans les volets relatifs aux droits des femmes discrimination, dans sa version finale, tend à priver ce haut leadership et cette approche réellement
et à l’égalité, d’autres chantiers législatifs sont cette instance de toute indépendance, autorité participative qui ont permis à notre pays de réussir
en cours et leur succès constitue un défi pour le et des pouvoirs dont la Constitution l’a pourtant de si grands chantiers de réforme démocratique.
renforcement du projet de société moderne et dotée, et ignore ainsi les recommandations des Au-delà des Femmes, les enjeux concernent
démocratique, car ils font malheureusement l’objet associations des droits des femmes et du Conseil la société toute entière, car comme l’a dit Sa
d’un traitement réducteur soumis à l’idéologie National des Droits de l’Homme. Majesté dès le lendemain de son Accession à
conservatrice.
On pourrait citer plusieurs autres exemples la Charge Suprême d’Amir Al Mouminine, dans
C’est ainsi que le Parlement a récemment adopté concernant l’accès des femmes aux postes de son discours du 20 Août 1999 et rappelé dans
une mesure pour proroger pour la deuxième fois responsabilité et de décision que ce soit au sein le discours de l’ouverture de la deuxième année
le délai initial de 5 ans, prévu dans l’article 16 de l’administration où la place des femmes connaît de la septième législature en 20013 : “Comment
du Code de la Famille, pour l’action en recon- des reculs, ou aux niveaux élevés de responsabilité espérer assurer progrès et prospérité à une
naissance du mariage, malgré les cris d’alarme dans les fonctions électives d’où sont exclues les société alors que ses femmes, qui en consti-
lancés par le mouvement féminin et les femmes femmes chaque fois que le législateur a omis de tuent la moitié, voient leurs droits bafoués
parlementaires. Pourtant, il apparaît clairement fixer des normes contraignantes. et pâtissent d’injustice, de violence et de
que l’amendement de cet article est utilisé pour marginalisation, au mépris du droit à la
échapper aux dispositions du Code de la Famille Enfin, et ce sera le dernier mais non le moindre dignité et à l’équité que leur confère notre
qui soumettent la polygamie et le mariage des des exemples : le rapport présenté par le Conseil sainte religion ?”
Février 2016 VH magazine 21