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Edifi ée à partir des années
1910, la « ville européenne »
se construit à une vitesse
vertigineuse. Née dans les
années 1920, Colette, future
épouse Suissa, de parents
français, y a connu la jeunesse
typique des enfants de la petite
bourgeoisie européenne de
l’époque. « J’ai grandi en face
du Marché central, raconte-t-
elle. C’était alors un quartier
européen. Je suis allée au
lycée Lyautey, qui se trouvait à
l’époque boulevard de Paris,
jusqu’en 3ème, puis au collège
de Mers Sultan où j’ai appris
la coupe des vêtements, la
couture, le dessin, la peinture
et la cuisine pendant trois
ans. Je fréquentais pas mal de
Françaises, plusieurs israélites
et quelques musulmanes. Mes Le Marché central.
parents recevaient des amis
Mais à partir des années désertent les appartements du
Vue sur la rue de la Gare à la hauteur du Marché central. 1930, la population du quartier quartier pour loger dans les
Liberté s’est largement villas qu’ils ont fait construire
métissée. Les commerçants sur le boulevard d’Anfa ou
musulmans et juifs qui se à Mers Sultan, voire sur la
sont enrichis dans les années colline d’Anfa pour les plus
précédentes aspirent à un huppés. Ainsi, quand Mohamed
confort et un mode de vie à Khattab naît en 1947 dans la
l’européenne. « L’intégration rue Berthelot, perpendiculaire
des plus anciens dans au boulevard de la Gare,
l’économie urbaine les l’immeuble où il habite compte
amène le plus souvent à une famille musulmane (la
migrer vers les quartiers sienne), une française et
Lusitania et Liberté, comme plusieurs familles juives, une
chrétiens et musulmans et air, des distractions cotées ». en témoigne le nombre proportion assez représentative
quelques amis juifs. » Comme Colette ne fait pas exception à d’immeubles dont les des « quotas » de l’époque
le décrit si bien l’écrivain Louis la règle : très sportive, elle fait commanditaires et locataires dans les bâtiments petits
Delau, la société française de la natation, du vélo et de la sont juifs », notent Monique bourgeois du quartier. Cela
de Casablanca est « avide danse. C’est d’ailleurs lors d’un Eleb et Jean-Louis Cohen dit, précise-t-il, « j’avais des
de confort, elle aime la vie après-midi dansant au Jardin dans Casablanca – Mythes et amis musulmans et juifs, mais
large, elle est sportive, il lui d’Eté qu’elle rencontrera celui fi gures d’une aventure urbaine. pas d’Européens. Ça ne se
faut des voyages, du grand qui deviendra son mari. Parallèlement, les Européens mélangeait pas tant que ça ».
Novembre 2011 VH magazine 61

