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Haim la Force.
LE CULTE DES BALÈZES »
LE CULTE DES « BALÈZES »
Dans cette Médina où on aime Joseph Oiknine. Quelqu’un m’a
se bagarrer, on raffole des juré qu’il avait soulevé une carriole
concours de force. Les noms de avec quatre chevaux ! ». Le quartier
Skali, « Haim la Force », Ali, Haj général des « balèzes » est la café
Fennane et Layidi sont restés Tarzan où on se défi e entre deux
dans les mémoires. Les légendes « vrais » combats sur le ring, au
foisonnent à leur sujet. « On disait cinéma Vox ou à la Foire. « Il y
qu’Ahmed El Ghoul avait donné avait des bagarres tous les jours,
un coup de tête à un âne et que se souvient avec nostalgie un
l’âne était tombé », rapporte commerçant dont la boutique fait
Abdellatif Lasri. Quant à Haïm La face au café. La rue était fermée
Force, « on disait qu’il avait traîné des deux côtés par des chaises et
un avion avec ses dents, raconte les types s’affrontaient. »
HORS LES MURS
HORS LES MURS
Pour les habitants de l’ancienne
Médina, s’aventurer au-delà des
remparts est une expérience à
la fois humiliante et exaltante.
Humiliante parce qu’ils sont
confrontés au regard des autres,
les Européens, ou plutôt à leur
absence de regard car ces « petits
choses » sont ostensiblement
ignorés. « On se croisait, mais on
ne se regardait même pas. C’était
l’apartheid sans mur », résume
Abdellatif Lasri. On a beau arpenter
les mêmes rues, le boulevard de
la Gare (plus tard Mohammed-V),
le boulevard de la Liberté
(aujourd’hui 11-Janvier) ou la rue
Blaise-Pascal (actuelle rue Prince-
Moulay-Abdallah) et les mêmes
cinémas, on ne se parle guère
non plus. « L’Européen était craint,
idéalisé et était un modèle, affi rme
Les remparts de la Médina et la ville nouvelle.
Brahim Lamine. On avait envie de
lui ressembler. C’étaient des gens
qui s’habillaient bien, qui avaient L’aventure est au moins aussi pour les enfants. Si tes parents peu d’argent de poche, on allait
de grosses voitures. Et, à l’époque, exaltante : on admire les splen- t’emmenaient là-bas, c’est qu’on au cinéma ABC, sur le boulevard
nous considérions comme normal dides vitrines du boulevard fêtait ta réussite aux examens de Mohamed-V, ou au Colysée. Sur
de servir l’Européen. Quand j’étais Mohammed-V, on fait le « paseo » fi n d’année ou qu’on célébrait une le coup de 20 heures, on se
jeune, nous allions au Marché sur Blaise-Pascal, on pénètre occasion particulière. Pendant retrouvait place Verdun, parce
central avec des paniers et nous dans des cinémas autrement les fêtes de fi n d’année, nos qu’il y avait un type qui faisait
attendions à l’endroit où les plus élégants que ceux de la parents nous donnaient des bons des grillades. On mangeait nos
Européens se garaient. Nous les Médina. Pour arpenter ce terri- qui leur étaient remis par leurs sandwichs debout, en discutant, il
suivions pendant qu’ils faisaient toire européen, on en adopte les employeurs, les chrétiens, les y avait un peu de musique. » Plus
leurs courses. Ils ne nous regar- codes. « Avant d’aller boulevard Italiens... Des bons d’une valeur tard, on va danser dans les boîtes
daient jamais : pour eux, nous Mohammed-V, nous mettions de 150 dirhams d’aujourd’hui, un de la Corniche : « Nous allions au
étions un panier où ils jetaient leurs nos plus beaux vêtements et bon par enfant. Il y avait un Père Tangage ou au Zoom Zoom pour
courses. Nous suivions Madame nous nous passions de la gomina Noël qui nous offrait des bonbons danser, boire de l’alcool et draguer
jusqu’à sa voiture et là, elle nous dans les cheveux », se souvient et des petits cadeaux. » les fi lles, se souvient Mohamed
donnait une pièce. A l’époque, Joseph Oiknine. « On disait qu’on En grandissant, on fréquente Vigon. Il y avait aussi le Village et
nous acceptions notre statut de allait à Bab El Kebir, rapporte cafés et glaciers. « Le samedi, le Balcon 33 ». L’indépendance
porteur et pour l’Européenne, nous Abdelghani B. Il y avait le magasin nous allions au café, à l’Igloo, est passée par là : les musulmans
étions ‘le garçon’ et qu’importe Paris-Maroc, où l’on trouvait des puis à l’Oukaimeden, raconte et les juifs sont désormais les
que le panier soit trop lourd. » vêtements et des chaussures Albert Elmaleh. Si on avait un bienvenus partout.
Novembre 2011 VH magazine 57

