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                 LA COUV’  I I  Hassan Hajjaj


                                                                                           dans la grande banlieue de Londres.
                                                                                           Peu de temps après notre arrivée,
                                                                                           ma mère a donné naissance à des
                                                                                           jumeaux. A l’école, cela ne se passait
                                                                                           pas mieux.
                                                                                           Comment avez-vous vécu
                                                                                           le choc culturel ?
                                                                                              Le moins que je puisse dire c’est
                                                                                           qu’il a été particulièrement violent.
                                                                                           Je me souviens que je devais me
                                                                                           rendre le matin à des cours de
                                                                                           soutien pour apprendre l’anglais
                                                                                           puis, de me rendre en classe
                                                                                           l’après-midi à l’école pour suivre
                                                                                           le cursus normal. Je ratais ainsi
                                                                                           les cours du matin que je devais
                                                                                           récupérer en plus de me concen-
                                                                                           trer sur les cours de l’après-midi
                                                                                           en compagnie d’élèves régulière-
                                                                                           ment scolarisés. Autant dire que
                                                                                           ma scolarité était vouée à l’échec.
                                                                         CE N’EST QU’AU
                                                                                           Avec du recul, je me rends compte
                                                                         TOUT DÉBUT DES    que c’est durant ces années que,
                Vous êtes né et avez grandi   Une période que nous avons   ANNÉES 1980     faute de pratique, j’ai perdu ma
                à Larache jusqu’à l’âge de 13   passée à Tanger dans des condi-            maitrise de l’arabe et du Français.
                ans. Quels souvenirs gardait   tions très difficiles en nous logeant   QUE LES CHOSES   Par contre, en ce qui concerne


                vous de cette époque ?       comme nous pouvions dans un   ONT COMMENCÉ    la langue anglaise, ce n’est pas à
                   J’ai beaucoup de souvenirs   bidonville. C’était durant les années   À ÉVOLUER   l’école que je l’ai apprise mais grâce
                de cette époque. Ma famille vient   1972, 1973. Une époque qui corre-  POUR NOUS.   aux nouveaux amis que je me suis
                des montagnes environnantes   spondait à la fin de l’âge d’or de            fait à cette époque-là. Des amis

                de Larache. Nous sommes des   Tanger. Je me souviens que pour   CETTE JEUNESSE   qui, pour la plupart, étaient origi-
                « Jbaylis » comme on dit. Mon   remplir mes journées j’allais au   EXCLUE DONT JE   naires des Antilles, des Caraïbes
                père et ma mère se sont installés à   cinéma, je marchais dans les rues   FAISAIS PARTIE   et de Jamaïque.
                Larache où je suis né. Seul garçon de   de la Médina, j’assistais aux spec-  A COMMENCÉ À   Contre le sentiment de rejet, ce
                la famille, j’étais très choyé par mes   tacles des charmeurs de serpents,   n’est qu’auprès d’eux que j’ai trouvé
                trois sœurs et ma mère. Je garde   je voyais pour la première fois   S’ORGANISER ET   une main tendue. Mais au grand
                des souvenirs très joyeux de mon   des hippies européens… C’était   À SE CRÉER DES   dam de mon père qui voulait que
                enfance à Larache.           un temps qui coïncidait avec   OPPORTUNITÉS.   je fasse de grandes études, j’ai
                C’était une petite ville côtière   celui de l’exploration propre à         quitté le lycée sans qualifi cations
                paisible aux murs blancs et bleus.   l’adolescence. Je me souviens que   NOUS TROUVIONS   à l’âge de 15 ans. Cette situat ion
                Nous vivions en bord de mer et   j’étais très frappé notamment par   UN LOCAL, NOUS   d’échec scolaire a envenimé mes
                je garde un sentiment de liberté   les publicités et les packagings de   L’INVESTISSIONS   relations avec mon père et j’ai
                et d’insouciance très fort. L’enfant   l’époque qui vantaient les vertus   ET NOUS PROCÉ-  quitté de ce fait le foyer familial. A
                que j’étais adorait jouer pieds-nus   des produits de grande consomma-     l’âge de 16 ans je me retrouve livré
                au football sur la plage.    tion américains du type Coca-Cola   DIONS À EN FAIRE   à moi-même et ainsi commence
                                             etc. Des produits qui s’adressaient   UN ENDROIT OÙ   pour moi une longue période de
                Au début des années 1970     aux consommateurs de la classe                petits boulots et de rude apprent-
                votre père obtient un titre   sociale moyenne plutôt aisée.   NOUS DIFFU-  issage de la vie. C’est ainsi que j’ai
                de séjour pour la Grande-    De notre arrivée à Londres je garde   SIONS NOTRE   fait de multiples et diverses jobs
                Bretagne et toute la famille   des souvenirs assez pénibles quant   CULTURE.   pour pouvoir survivre, manger à
                déménage là-bas. Comment     aux conditions de vie auxquelles              ma faim et me payer un loyer. J’ai
                se passe cette transition ?  nous avons été confrontés. Ma                 travaillé dans des grandes surfaces,
                   Avant de pouvoir rejoindre mon   grand-mère, mes parents, mes           j’ai été jardinier, livreur, magasinier
                père en Angleterre, nous avons dû   trois sœurs et moi-même nous           etc. C’est une période où je ne
                attendre pendant neuf mois nos   nous sommes retrouvés à vivre             me sentais jamais vraiment à ma
                titres de séjour.            dans l’équivalent d’une chambre               place.


                      VH magazine   Août-Septembre   2015
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