Page 35 - Lire votre magazine en version PDF
P. 35
H
LA COUV’ I I Hassan Hajjaj
dans la grande banlieue de Londres.
Peu de temps après notre arrivée,
ma mère a donné naissance à des
jumeaux. A l’école, cela ne se passait
pas mieux.
Comment avez-vous vécu
le choc culturel ?
Le moins que je puisse dire c’est
qu’il a été particulièrement violent.
Je me souviens que je devais me
rendre le matin à des cours de
soutien pour apprendre l’anglais
puis, de me rendre en classe
l’après-midi à l’école pour suivre
le cursus normal. Je ratais ainsi
les cours du matin que je devais
récupérer en plus de me concen-
trer sur les cours de l’après-midi
en compagnie d’élèves régulière-
ment scolarisés. Autant dire que
ma scolarité était vouée à l’échec.
CE N’EST QU’AU
Avec du recul, je me rends compte
TOUT DÉBUT DES que c’est durant ces années que,
Vous êtes né et avez grandi Une période que nous avons ANNÉES 1980 faute de pratique, j’ai perdu ma
à Larache jusqu’à l’âge de 13 passée à Tanger dans des condi- maitrise de l’arabe et du Français.
ans. Quels souvenirs gardait tions très difficiles en nous logeant QUE LES CHOSES Par contre, en ce qui concerne
vous de cette époque ? comme nous pouvions dans un ONT COMMENCÉ la langue anglaise, ce n’est pas à
J’ai beaucoup de souvenirs bidonville. C’était durant les années À ÉVOLUER l’école que je l’ai apprise mais grâce
de cette époque. Ma famille vient 1972, 1973. Une époque qui corre- POUR NOUS. aux nouveaux amis que je me suis
des montagnes environnantes spondait à la fin de l’âge d’or de fait à cette époque-là. Des amis
de Larache. Nous sommes des Tanger. Je me souviens que pour CETTE JEUNESSE qui, pour la plupart, étaient origi-
« Jbaylis » comme on dit. Mon remplir mes journées j’allais au EXCLUE DONT JE naires des Antilles, des Caraïbes
père et ma mère se sont installés à cinéma, je marchais dans les rues FAISAIS PARTIE et de Jamaïque.
Larache où je suis né. Seul garçon de de la Médina, j’assistais aux spec- A COMMENCÉ À Contre le sentiment de rejet, ce
la famille, j’étais très choyé par mes tacles des charmeurs de serpents, n’est qu’auprès d’eux que j’ai trouvé
trois sœurs et ma mère. Je garde je voyais pour la première fois S’ORGANISER ET une main tendue. Mais au grand
des souvenirs très joyeux de mon des hippies européens… C’était À SE CRÉER DES dam de mon père qui voulait que
enfance à Larache. un temps qui coïncidait avec OPPORTUNITÉS. je fasse de grandes études, j’ai
C’était une petite ville côtière celui de l’exploration propre à quitté le lycée sans qualifi cations
paisible aux murs blancs et bleus. l’adolescence. Je me souviens que NOUS TROUVIONS à l’âge de 15 ans. Cette situat ion
Nous vivions en bord de mer et j’étais très frappé notamment par UN LOCAL, NOUS d’échec scolaire a envenimé mes
je garde un sentiment de liberté les publicités et les packagings de L’INVESTISSIONS relations avec mon père et j’ai
et d’insouciance très fort. L’enfant l’époque qui vantaient les vertus ET NOUS PROCÉ- quitté de ce fait le foyer familial. A
que j’étais adorait jouer pieds-nus des produits de grande consomma- l’âge de 16 ans je me retrouve livré
au football sur la plage. tion américains du type Coca-Cola DIONS À EN FAIRE à moi-même et ainsi commence
etc. Des produits qui s’adressaient UN ENDROIT OÙ pour moi une longue période de
Au début des années 1970 aux consommateurs de la classe petits boulots et de rude apprent-
votre père obtient un titre sociale moyenne plutôt aisée. NOUS DIFFU- issage de la vie. C’est ainsi que j’ai
de séjour pour la Grande- De notre arrivée à Londres je garde SIONS NOTRE fait de multiples et diverses jobs
Bretagne et toute la famille des souvenirs assez pénibles quant CULTURE. pour pouvoir survivre, manger à
déménage là-bas. Comment aux conditions de vie auxquelles ma faim et me payer un loyer. J’ai
se passe cette transition ? nous avons été confrontés. Ma travaillé dans des grandes surfaces,
Avant de pouvoir rejoindre mon grand-mère, mes parents, mes j’ai été jardinier, livreur, magasinier
père en Angleterre, nous avons dû trois sœurs et moi-même nous etc. C’est une période où je ne
attendre pendant neuf mois nos nous sommes retrouvés à vivre me sentais jamais vraiment à ma
titres de séjour. dans l’équivalent d’une chambre place.
VH magazine Août-Septembre 2015