Page 66 - VH Magazine N°151 - Juillet 2016
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DOSSIER I I Les Marocains & le sexe
❛❛ STÉPHANIE GAOU, CRÉATRICE DE LA LIBRAIRIE LES INSOLITES
LE SEXE ET
L'INTIME
P «sexe» au Maroc, c’est repenser
Prendre la plume pour écrire
la propre approche de mon désir,
de l’érotisme tel que j’entends le vivre dans
ce pays que j’ai choisi, c’est observer le
dissimulé et le partagé, l’assumé et les
non-dits. Aborder de manière généralisée
le sexe, c’est un écueil dans lequel je refuse
de tomber. Et pour autant, si je dois parler
de particularité, il faudrait que je parle de
mon expérience personnelle, pas toujours
très heureuse à cet égard, ici. Je vais donc
essayer, au lieu de raconter ma vie privée
qui n’intéresse personne, de décortiquer les
notions qui émergent dès que l’on tente de
parler de la sexualité au Maroc. Ici, j’aurais
appris une chose : ne pas dire quelque
chose qui n’implique nullement que l’on
ne fait pas la chose, mais le fond du sujet
n’est pas là.
Avant même de penser à haram ou hallal,
moi, il, elle, eux pensent hchouma. S’exposer
au regard de l’autre, c’est déjà accepter de
s’affaiblir, de se mettre en pâture. Le sexe
(et toutes ses connotations douteuses)
passe d’abord par le regard que l’on porte
sur celui ou celle qui accepte d’être vu(e).
Les débordements de langage, l’agressivité
dans la rue avec gestes signifi catifs, la
surprotection du physique de la femme
dans l’espace public, tout commence par ce
mot, hchouma. Chaque être se construit à
l’intérieur de, ou en rejetant ce mot. Chaque
être crée son propre censeur à l’égard de
son corps, de ses désirs, de ses répulsions
ou décide – en se cachant encore du regard
extérieur – de dépasser ce mot. Chaque
être intègre bourreau et victime à la fois.
Chaque être se trouve importuné par le
regard des autres, mais projette son regard
sur les autres comme un policier.
Il faut se justifier devant le gardien de
voitures, d’immeuble, devant le voisin,
«l’ami », les serveurs dans les restaurants,
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