Page 67 - VH Magazine N°151 - Juillet 2016
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les gens dans la rue. Il faut se justifi er si tout revenir aux basiques, découvrir ses
© Abdel-Mohcine Nakari. défendre son corps comme un pré carré. aussi l’indicible. Aux hommes d’accepter
propres sensations, accepter que le maté-
l’on est une femme seule qui veut recevoir
riel visible fait partie d’un tout qui engage
un homme ou des hommes chez elle. Il faut
En même temps, il ne faut pas faire de
que la femme est responsable de son corps
l’arbre qui cache la forêt le parangon de la
et de son désir et qu’elle risque d’échapper
au contrôle de leur propre désir. Aux
forêt. Tout ce que je vois dans la rue ou que
j’entends, me semble bourré de sous-en-
sans se cacher, dans toute l’acceptation du
tendus : scènes de drague dissimulées, des
filles qui refilent leurs numéros de portable femmes de commencer à être « femme »
mot, et pas seulement sœurs ou mères ou
en douce sous la djellaba, bref, l’invitation filles. J’entends beaucoup de personnes se
à la séduction est latente et continue, mais plaindre de la situation générale au Maroc,
jusqu’où va cette invitation ? répéter comme des perroquets que les
A Tanger, la rue est le royaume du peuple ou gens sont hypocrites, mais qui commence
des étrangers. Les nantis se déplacent en par être franc envers soi-même et avec les
voiture, les femmes savamment englobées autres ? Une femme peut-elle dire qu’elle
dans leur voiture ou encore accompagnées fait ce qu’elle veut de son corps, de ses
de leur chauffeur. De leur côté, les tour- hanches, de ses seins, qu’elle choisit son
istes – ces autres-là que tout le monde partenaire, qu’elle choisit de ne pas en avoir
méprise quand même toujours un peu tout ou d’en avoir ? Les hommes peuvent-ils
en espérant leur parler un peu - sillon- aisément avouer leurs faiblesses, pleurer
nent l’espace public, avec les migrants, les sans que cela devienne une tare, aimer sans
travailleurs, les commerçants et les pauvres. que cela soit une souffrance ?
Cette mise au regard nous rend coupable. L’école et les parents devraient être des
Je suis coupable si je marche dans la rue, modèles de partage, de découverte de la
simplement parce que je montre que je ne sexualité, d’éveil à l’autre, à sa compréhen-
sais pas me protéger, me mettre à l’abri. sion, à la beauté du monde. Or, ici, c’est
En portant une jupe trop courte et un rouge tout le contraire, l’école et les parents sont
à lèvres trop voyant, je suis non seulement des censeurs desquels chacun tente de
coupable, mais en plus je suis complice et s’échapper. Et quand la mère ou le père
ce n’en est que pire. sont dans la confidence, il faudra mentir aux
autres membres de la famille pour ne pas
COQ ET LAPIN jeter le discrédit sur le groupe. Le sexe au
A force de ne jamais parler de sexe décem- Maroc n’est pas un univers d’intime, c’est
ment, c’est-à-dire ouvertement, à force un outil politique de famille, de société.
d’imaginer que l’on heurte l’autre quand Mais je tombe déjà dans les généralités.
on parle de sexe, c’est le sujet qui obsède Il y a une solution peut-être : imaginer
le plus les gens, avec l’argent. Réunion que l’on peut parler de sexe sans utiliser
de femmes : on ne parle que de sexe, des mots sales ou avilissants. Donner des
de comment les hommes font l’amour, cours d’éducation sexuelle et sortir de cette
A FORCE DE NE JAMAIS PARLER « baisent » plutôt devrais-je dire, on se notion « C’est la honte, ça ne se fait pas ».
moque de leurs habitudes. Rarement Apprendre à être tolérant avec celles et
DE SEXE DÉCEMMENT, C’EST-À-DIRE entendu autant de vulgarité entre femmes. ceux qui n’ont pas les mêmes habitudes
OUVERTEMENT, À FORCE D’IMAGINER Réunion de mecs au café : on mate les fi lles sexuelles que nous, sans les juger, sans
QUE L’ON HEURTE L’AUTRE QUAND ON comme à l’abattoir, en les classant. J’ai déjà les pointer du doigt. Réintroduire la poésie
dans le quotidien des gens, en parlant de
vécu des scènes aussi pathétiques avec
PARLE DE SEXE, C’EST LE SUJET QUI des hommes. Dans le Sud de la France, ce qu’il y a de beau et de solaire dans le
OBSÈDE LE PLUS LES GENS, AVEC c’était pareil. Ils sont coq dans leur bouche sexe, dans sa pratique, en citant les grands
et lapin dans la culotte. C’est bassement poètes et en remisant aux oubliettes ce
L’ARGENT. RÉUNION DE FEMMES : ON NE latin, bassement méditerranéen. mot qui effleure toutes les lèvres, et même
PARLE QUE DE SEXE, DE COMMENT LES Les habitudes sexuelles sont souvent le celles des tout-petits, hchouma. Redonner
diapason d’une société qui grandit, qui à imaginer que le sexe est un territoire de
HOMMES FONT L’AMOUR, «BAISENT» s’élève, qui s’auto-congratule, qui s’épanouit. découvertes et de créativité. Si les parents
PLUTÔT DEVRAIS-JE DIRE, ON SE MOQUE Pouvoir aborder la sexualité, en faire un ne peuvent pas le faire, pourquoi ne pas
sujet d’éducation, c’est la preuve qu’un intégrer des cours d’épanouissement
DE LEURS HABITUDES. peuple est prêt à la vivre en toute sérénité, intime à l’école ? Le Maroc se veut grand
à vivre son corps en parfait accord avec son et moderne, il ne le deviendra réellement
âme, comme le faisaient les Anciens. qu’en donnant toute sa place à l’intime, à
Il y a dualité entre matériel et spirituel au l’individu, car le sexe, c’est le royaume du
Maroc. Savoir marier les deux, c’est avant ressenti, du sensible.
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