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Pour se développer, Casablanca   troupes françaises et espagnoles   l’éclairage organisé, les marchés   qui atteignent « des prix quasi
                  a besoin d’un port viable où   débarquent en force. Plusieurs   aménagés, un abattoir ouvert, les   parisiens », selon Monique Eleb
                  passagers et marchandises   centaines de Marocains,   maisons numérotées, les noms   et Jean-Louis Cohen. Les affaires
                  ne risquent pas à tout moment                                                    se font au Café du Commerce.
                  d’être jetés à la mer par la houle                             Le café du Commerce.  « Casablanca était devenue
                  lors du débarquement. Son                                                        un tripot, a écrit le journaliste
                  aménagement débute en 1907,                                                      Christian Houel. Les courtiers, un
                  sous la tutelle des Français. Or,                                                plan dans leur poche, proposaient
                  ceux-ci ne font pas de détail : « le                                             d’une table à l’autre les parcelles
                  contrôle français sur la douane,                                                 à vendre et l’on vit dans la
                  avec sa dimension clientélaire, et                                               même journée atteindre des
                  le passage brutal et sacrilège du                                                sensationnelles surenchères. »
                  chemin de fer dans le cimetière                                                  Parmi les investisseurs les plus
                  musulman, où il met au jour des                                                  audacieux et les plus visionnaires,
                  ossements, déclencheront la                                                      Prosper Ferrieu dont le prénom
                  colère des tribus de la Chaouia »,                                               passera à la postérité : Bousbir
                  écrivent Monique Eleb et Jean-                                                   est la déformation de son prénom.
                  Louis Cohen dans Casablanca                                                      L’armée, pour sa part, colonise
                  – Mythes et fi gures d’une                                                        sans vergogne les terres agricoles
                  aventure urbaine. Des ouvriers   musulmans et juifs, trouvent la   des rues affi chés en arabe et en   de la Chaouïa. Pour protéger ses
                  européens sont assassinés. La   mort et un cinquième de la médina   français, un budget municipal   nouvelles « acquisitions », elle
                  France, qui cherchait à étendre   est brûlée. Une fois leur pouvoir   mis en place… Tout cela en   décide dès 1908 de mettre en
                  son infl uence sur Casablanca,   établi, les militaires français   l’espace d’un an. Les travaux à   place un cadastre, sous prétexte
                  n’en demandait pas tant : la   décident d’organiser la ville. Les   peine entamés, on assiste à une   « d’éviter les surprises de la
                  médina est bombardée et des   voies sont tracées et pavées,   fl ambée des prix des terrains   spéculation ».


                   VERS UN NOUVEAU MONDE                                 La Tour de l´horloge en 1910.

                  Dès lors, Casablanca aimante de   pour faire peau neuve, s’est guêtré
                  nouvelles populations. Il y a bien   et armé d’un revolver ou d’un nerf
                  sûr les immigrés de l’intérieur :   de bœuf ; l’aspirant-colon qui se
                  musulmans attirés par la promesse   cache sous un casque ou sous un
                  d’un travail et l’accès à la vie   feutre gris à large bord ; l’ancien
                  moderne et juifs « que la sécurité   déserteur qui va devenir le valet de
                    ç
                  française faisait sortir des mellahs   chambre du consul ou d’un haut
                        és ».
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                  surpeuplés ». Et puis, venue
                  sur
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                                              fonctionnaire », écrit le
                  d’Europe, arrive une faune interlope   fonctionnaire Joseph Goulven.
                  comme en attirent tous les   La médina s’adapte à cet affl ux
                  « nouveaux mondes ». « Le port de   de population. Les commerces
                  la Marine, devenue historique, voit   fl eurissent. « Les bouchers
                  défi ler les types les plus curieux :   musulmans et israélites occupent
                  le grand brasseur d’affaires, aux   la place du Capitaine Ihler, tandis
                  épaules solides, venu entre deux   qu’une théorie de commerces
                  courriers pour traiter avec l’Europe   s’égrène désormais rue du
                  d’avant 1907, qui a accaparé les   Commandant Provost, nouveau
                  terrains ; l’interdit de séjour qui,   nom de la voie principale »,
                                                                                              Novembre   2011    VH magazine   37
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