Page 42 - Lire votre magazine en version PDF
P. 42

CASABLANCA 1920 -1970 I I  Histoire d’une ville


                   UN ELDORADO NOMMÉ CASABLANCA


                  Casablanca s’avère conforme
                  aux promesses de Lyautey. Dans                                Le Théâtre municipal.
                  cette ville où tout reste à faire,
                  des fortunes se construisent en
                  quelques années. On peut suivre
                  les trajectoires sociales en fonction
                  du quartier ou type d’habitation.
                  Les musulmans passent ainsi des
                  bidonvilles à l’ancienne médina
                  avant de trouver des logements
                  plus confortables dans la nouvelle
                  médina ou en centre ville. Les
                  juifs habitent dans le mellah avant
                  de s’installer boulevard d’Anfa et
                  autour de la place de Verdun. Les
                  Européens vivent dans de petits   casablancaise est hédoniste : elle   sport automobile, des champs   de prospérer, même ralentie. En
                  appartements avant d’édifi er des   s’occupe beaucoup d’hygiène,   de courses et des Arènes, avec   revanche, la ville sera touchée
                  villas à Mers-Sultan, voire sur la   de son corps, recherche tous les   de grands spectacles et surtout   par l’éclatement de la Seconde
                  colline d’Anfa.            plaisirs qui sont plutôt ceux de la   des corridas. Les Casablancais   Guerre mondiale. Le rationnement
                  Pour ceux qui savent profi ter de   modernité. Il n’y a pas de théâtre,   travaillent beaucoup, sont   touche particulièrement les
                  la générosité de Casablanca, ce   de musées, de bibliothèques. Il n’y   entrepreneurs dans l’âme : ce   populations marocaines les plus
                  sont des années de labeur, mais   a guère que l’Opéra Comique, rue   sont des gens qui veulent faire de   défavorisées. Aziz Chabine,
                  aussi de bonheur et d’insouciance.   Hassan II. Dans la bourgeoisie, on   l’argent et en profi ter. »  patron de la Sqala, se souvient
                  « Les Casablancais sont très   peut parler d’une vie sans soucis :   La crise qui frappe les Etats-Unis   que son père évoquait comme
                  tournés vers l’extérieur, d’autant   on profi te de la vie en extérieur,   et l’Europe au début des années   une époque extrêmement diffi cile
                  qu’on est au bord de la mer,   des fêtes… Il y a beaucoup de   1930 ne touche Casablanca   l’année du bon, « 3am boun ».
                  raconte Jacqueline Alluchon. Les   cabarets. D’où, dans les années   qu’à la marge : les extensions   Mais les privations ne durent
                  clubs de natation apparaissent   1930, la construction de très   successives du port font que   guère : dès 1942, les GI’s sont à
                  dès les années 20. La population   grandes piscines, l’apparition du   l’activité économique continue   Casablanca.


                   LES GI’S SONT DANS LA VILLE



                  Le 8 novembre 1942, les     le-feu lancé par l’amiral Darlan au
                  débarquent sur les côtes   troisième jour du débarquement,
                  casablancaises et avec eux, une   les soldats américains sillonnent la
                  bouffée d’air frais. « Les rues   ville en distribuant avec largesse

                                    Entrée d'un char américain dans Casablanca,
                                    il passe devant la tour de l'horloge 1942.









                                                                        moins recommandable : « Toutes   et la présence des Américains
                                                                        sortes de gens viennent de toute   font qu’on a l’impression qu’on
                                                                        l’Europe, pendant et juste après   pourra, beaucoup plus vite qu’en
                                                                        la guerre : certains qui n’ont plus   Europe, travailler, faire du business.
                                                                        rien, d’autres qui viennent blanchir   La réputation de Casablanca à
                                                                        leur argent…, explique Jacqueline   cette époque-là est celle d’une
                  grouillent d’uniformes, raconte Tito   tracts, chewing-gums, chocolats   Alluchon. Il y avait des personnes   espèce de plaque tournante de
                  Topin dans Les Enfants perdus   ou cigarettes Raleigh afi n de se   qui voulaient commencer une   toutes sortes de gens. Nombre de
                  de Casablanca. Marines, rangers,   faire adopter par la population. »   nouvelle vie, comme mes grands-  romans policiers et de fi lms ont été
                  fantassins, GI’s, fusiliers marins,   Casablanca libérée devient   parents, des réfugiés d’un   faits dans les années suivante sur
                  matelots, tankistes, pilotes de   rapidement un havre pour des   peu partout, sans doute aussi   cette époque, dont Casablanca et
                  chasse. Depuis l’ordre de cessez-  réfugiés, mais aussi une faune   d’anciens nazis... Le plan Marshall   La Môme vert-de-gris. »



                  42   VH magazine   Novembre   2011
   37   38   39   40   41   42   43   44   45   46   47