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Docteur Hassan Belkady,
                 exploitant de salles de cinéma

                 Je suis chirurgien-dentiste diplômé
                 d’une université américaine mais
                 ma passion première est le cinéma.
                 Et pour cause, mon père et ma
                 mère étaient propriétaires de salles
                 de cinéma. Pour l’histoire, ce sont
                 les Français qui ont construit les
                 salles de cinémas au Maroc. Les
                 Marocains ne pouvaient pas être
                 propriétaires de salles. Or tout cela
                 a changé avec l’indépendance.
                 Les Marocains ont commencé à
                 racheter les salles des propriétaires
                 français et des groupes ce sont ainsi
                 formés : il y a eu le groupe Belkady,
                 que mon père dirigeait, il y a eu le
                 groupe d’Abbas Benjelloun, le père
                 d’Othman Benjelloun, le groupe
                 Benkirane, etc...
                 Ma mère a été la première femme
                 marocaine à avoir construit un
                 cinéma au Maroc, à Casablanca, le
                 Shéhérazade. C’était juste après
                 l’indépendance. Quand mon père
                 l’a épousée, il a épousé aussi, par
                 la force des choses, sa passion. Lui
                 était dans la douane, les affaires, etc.
                 Auprès de ma mère, il a commencé
                 à prendre goût à l’activité d’exploitant
                 de salles de cinéma. C’est ainsi qu’il
                 a racheté des salles à Casablanca
                 et dans d’autres villes marocaines. Il
                 a acquis le cinéma El Mamounia,
                 que toute une génération de
                 Casablancais connaît très bien
                 car il se trouvait dans un quartier
                 populaire, celui de la Gironde. Puis, il
                 a acquis un certain nombre d’autres   Si Casablanca a inspriré le cinéma, le cinéma a été une grande source d’inspration des Casablancais.
                 salles telles que le Rajae, Al Atlas,
                 Al Kawakib, l’ABC, l’Olympia et   un juif marocain qui a dirigé la   Surtout que durant la projection,   à des recettes d’exploitation qui se
                 le circuit des salles du Colisée de   salle pendant de longues années.   l’explorateur lui-même faisait la   réduisent comme peau de chagrin.
                 Casablanca, Rabat et Marrakech.   Entre le parfum des femmes, les   voix off en s’accompagnant de   J’ai donc dû vendre des salles de
                 A l’époque, ces salles réunissaient   manteaux de fourrure, les tenues   tout un tas de sons qu’il provoquait   cinéma et en rénover d’autres en les
                 les Casablancais. Tous les enfants   distinguées, il y avait quelque chose   en appuyant sur le bouton «play»   dotant notamment du Dolby Digital
                 enjambaient leurs vélos le dimanche   de véritablement magique dans   de son magnétoscope. Tous les   et de meilleures infrastructures :
                 matin pour aller voir des fi lms tels   cette salle. C’était comme aller au   bruitages, les cris d’animaux et les   sièges, rideaux, etc. Mais le constat
                 que ceux de Hercule, Tarzan ou des   théâtre. Durant cette époque, l’ABC   effets sonores étaient joués en   actuel pour les salles obscures au
                 westerns, etc. C’est donc toute une   était la seule salle à proposer la   direct. Tout cela semble diffi cile à   Maroc reste consternant. Alors,
                 jeunesse qui a été marquée par ces   mythique série de documentaires   croire aujourd’hui !   que jusqu’au années 1970, il y avait
                 fi lms-là.                   « Connaissances du monde ». On   Depuis la fin des années 1990, c’est   280 salles de cinéma qui attiraient

                 Je me souviens que ma mère   avait droit, en même temps qu’à   moi qui ai dû reprendre ces salles   quelque 50 millions de spectateurs
                 nous envoyait à l’âge de dix, onze   la projection de diapositives ou   de cinéma où, enfant, j’assistais en   par an, nous sommes tombés
                 ans en costume et en cravate au   de bobines 16 millimètres, à la   spectateur à la projection de tous   aujourd’hui à moins de 40 salles
                 cinéma l’ABC pour assister à des   présence en personne dans la salle   ces films formidables. Mais je me   dans tout le pays pour une audience

                 séances de films. C’était comme   de l’explorateur qui nous présentait   suis vite rendu compte que diriger   d’un peu moins de 4 millions. Avec

                 assister à une véritable cérémonie   le sujet de son documentaire et, à la   de nos jours une salle de cinéma   le passage au «tout numérique»
                 car en entrant dans la salle, on était   fin de la séance, nous dédicaçait le   était une autre paire de manches. En   d’ici 2013, qui nécessite un

                 frappé par l’ambiance feutrée et chic   livre tiré dudit documentaire. C’était   plus d’avoir à maîtriser les tenants   investissement de près de 2 millions
                 qui y régnait. Il y avait là de belles   le rêve. Voir, à l’époque, un sujet sur   et aboutissants de l’exploitation des   de dirhams, la moitié des salles
                 ouvreuses, pour la plupart françaises.   les îles des Bahamas au Maroc,   salles, il faut lutter contre l’inexorable   qui existent encore sont vouées à
                 Le directeur était monsieur Robert,   c’était carrément inconcevable.   chute de fréquentation et faire face   disparaître.

                                                                                              Novembre   2011    VH magazine   97
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