Page 97 - Lire votre magazine en version PDF
P. 97
Docteur Hassan Belkady,
exploitant de salles de cinéma
Je suis chirurgien-dentiste diplômé
d’une université américaine mais
ma passion première est le cinéma.
Et pour cause, mon père et ma
mère étaient propriétaires de salles
de cinéma. Pour l’histoire, ce sont
les Français qui ont construit les
salles de cinémas au Maroc. Les
Marocains ne pouvaient pas être
propriétaires de salles. Or tout cela
a changé avec l’indépendance.
Les Marocains ont commencé à
racheter les salles des propriétaires
français et des groupes ce sont ainsi
formés : il y a eu le groupe Belkady,
que mon père dirigeait, il y a eu le
groupe d’Abbas Benjelloun, le père
d’Othman Benjelloun, le groupe
Benkirane, etc...
Ma mère a été la première femme
marocaine à avoir construit un
cinéma au Maroc, à Casablanca, le
Shéhérazade. C’était juste après
l’indépendance. Quand mon père
l’a épousée, il a épousé aussi, par
la force des choses, sa passion. Lui
était dans la douane, les affaires, etc.
Auprès de ma mère, il a commencé
à prendre goût à l’activité d’exploitant
de salles de cinéma. C’est ainsi qu’il
a racheté des salles à Casablanca
et dans d’autres villes marocaines. Il
a acquis le cinéma El Mamounia,
que toute une génération de
Casablancais connaît très bien
car il se trouvait dans un quartier
populaire, celui de la Gironde. Puis, il
a acquis un certain nombre d’autres Si Casablanca a inspriré le cinéma, le cinéma a été une grande source d’inspration des Casablancais.
salles telles que le Rajae, Al Atlas,
Al Kawakib, l’ABC, l’Olympia et un juif marocain qui a dirigé la Surtout que durant la projection, à des recettes d’exploitation qui se
le circuit des salles du Colisée de salle pendant de longues années. l’explorateur lui-même faisait la réduisent comme peau de chagrin.
Casablanca, Rabat et Marrakech. Entre le parfum des femmes, les voix off en s’accompagnant de J’ai donc dû vendre des salles de
A l’époque, ces salles réunissaient manteaux de fourrure, les tenues tout un tas de sons qu’il provoquait cinéma et en rénover d’autres en les
les Casablancais. Tous les enfants distinguées, il y avait quelque chose en appuyant sur le bouton «play» dotant notamment du Dolby Digital
enjambaient leurs vélos le dimanche de véritablement magique dans de son magnétoscope. Tous les et de meilleures infrastructures :
matin pour aller voir des fi lms tels cette salle. C’était comme aller au bruitages, les cris d’animaux et les sièges, rideaux, etc. Mais le constat
que ceux de Hercule, Tarzan ou des théâtre. Durant cette époque, l’ABC effets sonores étaient joués en actuel pour les salles obscures au
westerns, etc. C’est donc toute une était la seule salle à proposer la direct. Tout cela semble diffi cile à Maroc reste consternant. Alors,
jeunesse qui a été marquée par ces mythique série de documentaires croire aujourd’hui ! que jusqu’au années 1970, il y avait
fi lms-là. « Connaissances du monde ». On Depuis la fin des années 1990, c’est 280 salles de cinéma qui attiraient
Je me souviens que ma mère avait droit, en même temps qu’à moi qui ai dû reprendre ces salles quelque 50 millions de spectateurs
nous envoyait à l’âge de dix, onze la projection de diapositives ou de cinéma où, enfant, j’assistais en par an, nous sommes tombés
ans en costume et en cravate au de bobines 16 millimètres, à la spectateur à la projection de tous aujourd’hui à moins de 40 salles
cinéma l’ABC pour assister à des présence en personne dans la salle ces films formidables. Mais je me dans tout le pays pour une audience
séances de films. C’était comme de l’explorateur qui nous présentait suis vite rendu compte que diriger d’un peu moins de 4 millions. Avec
assister à une véritable cérémonie le sujet de son documentaire et, à la de nos jours une salle de cinéma le passage au «tout numérique»
car en entrant dans la salle, on était fin de la séance, nous dédicaçait le était une autre paire de manches. En d’ici 2013, qui nécessite un
frappé par l’ambiance feutrée et chic livre tiré dudit documentaire. C’était plus d’avoir à maîtriser les tenants investissement de près de 2 millions
qui y régnait. Il y avait là de belles le rêve. Voir, à l’époque, un sujet sur et aboutissants de l’exploitation des de dirhams, la moitié des salles
ouvreuses, pour la plupart françaises. les îles des Bahamas au Maroc, salles, il faut lutter contre l’inexorable qui existent encore sont vouées à
Le directeur était monsieur Robert, c’était carrément inconcevable. chute de fréquentation et faire face disparaître.
Novembre 2011 VH magazine 97

