Page 43 - VH Magazine N°110 - Juin 2012
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Ces hommes, aujourd’hui fameux ailleurs, ont un privilège de
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                                                         approche des problèmes de notre temps qui en fait des sages,
                                                         des médiateurs, des passeurs. Simplement parce qu’ils sont nés
                                                         dans une autre civilisation que la leur, dont ils fi nissent avec le
                                                         temps par partager les valeurs.
                                                         Fils de colons, d’hommes d’affaires, d’enseignants ou de
                                                         diplomates, il sont nés au Maroc où il ont fait leurs premiers pas,
                                                         puis fréquenté l’école. Et puis un jour arrive où l’heure du départ
                                                         va sonner, tôt ou plus tard. La fatalité fi nit par les rappeler au
                                                         pays dont ils sont citoyens, ou ailleurs pour ceux dont les parents
                                                         parcourent le monde. Et ils grandissent sans prendre conscience
                                                         de leur privilège, il sont absorbés à l’adolescence par les rêves
                                                         et les soucis propres, partout, à cet âge. C’est l’âge aussi de
                                                         la formation au bout de laquelle on accède à l’université et aux
                                                         perspectives qu’elle ouvre. L’adulte en eux prend alors le pas sur
                                                         le jeune homme, la vie active s’en mêle. Le natif du Maroc n’a
                                                         jusque-là, la plupart du temps, que des souvenirs de vacances,
                                                         une nostalgie peut-être plus liée à l’affection parentale qu’aux
                                                         lieux en question et à leurs couleurs propres. Et, petit à petit,
                                                         avec l’expérience de la vie, plus riche et plus mouvementée
                                                         encore lorsqu’ils choisissent pour destin la politique, une réfl exion
                                                         commence à prendre forme avec un retour en arrière et une
                                                         forte nostalgie qui fait monter des tréfonds de la mémoire une
                                                         douceur de vivre d’antan.
                                                         Le discours ambiant fait réfl échir là-dessus. Les débats sur
                                                         l’immigration, sur le choc des civilisations, les xénophobies qui
                                                         trouvent leurs porte-drapeaux, l’exclusion et le dénigrement ne
                                                         manquent pas de faire revenir sur ses pas une pensée émergente
                                                         avant qu’elle ne se sclérose et se confonde avec la bêtise et la
                                                         haine qui s’infi ltrent pour de bon dans la mêlée. Les images
                                                         remontent à la surface. La gentillesse des gens, les sourires
                                                         constants et les saluts amicaux avec lesquels on vous aborde
                                                         dans la rue, les maisons ouvertes aux hôtes de passage, les
                                                         gâteaux au miel offerts lors des fêtes, les youyous qui déchirent le
                                                         ciel et ouvrent le bal lors des mariages et des circoncisions, tout
                                                         cela revient d’un coup comme une bouffée d’air frais qui chasse
                                                         la laideur et les aigreurs d’une pensée haineuse et inhumaine.
                                                         Et alors, cette contrée quittée dans l’enfance et qu’on pensait
                                                         défi nitivement livrée au retard, à l’archaïsme et à l’oubli, devient,
                                                         comme par miracle, donneuse de leçons sur la convivialité et la
                                                         tolérance. Dans des villes d’Occident épuisées par la crise et la
                                                         solitude à laquelle se trouvent souvent livrés les hommes et les
                                                         femmes, dans ces hauts lieux de la technologie où la fi nance
                                                         fait loi et ne laisse nul répit aux faibles, le quartier d’antan où se
                                                         côtoient les pauvres et les riches, les liens de parenté puissants, le
                                                         rapport quasiment fi lial avec la nounou s’offrent soudain comme
                                                         des portes de sorties, des voies de secours. Les perspectives
                                                         changent alors. Le désespoir s’atténue pour faire place à un
                                                         rapport plus humain entre les nations dans cette Méditerranée
                                                         dont les gens sont si proches et où ils s’ignorent tant.
                                                         L’enfant né à Casablanca, Rabat où Marrakech investit alors
                                                         l’adulte, homme d’affaires ou politique, pour lui rappeler son
                                                         devoir d’homme de dialogue entre les pays, entre les cultures,
                                                         son statut privilégié de passeur, parce qu’il est un enfant partagé
                                                         entre des cultures supposées ennemies et qui sont chez lui unies
                                                         et paisibles.
                                                                                          MOHAMMED ENNAJI



                                                                                                  Juin   2012    VH magazine   43
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