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ETRE DE L’ANCIENNE MÉDINA
                  Même si leur but a toujours été   ETRE DE L’ANCIENNE MÉDINA                   Ceci dit, il n’y a pas une, mais des
                  d’en sortir, ceux qui sont issus de                                           médinas. Chaque quartier est un ilot
                  l’ancienne Médina revendiquent leur                                           que ses habitants, surtout les plus
                  appartenance à ce lieu. Parce que                                             jeunes, défendent farouchement. « Je
                  l’endroit qu’ils ont connu fut celui d’une                                    le regrette aujourd’hui mais, parfois,
                  convivialité, d’un cosmopolitisme et                                          avec un groupe de gamins, nous nous
                  d’une tolérance religieuse inconnus                                           amusions, à la sortie de la synagogue,
                  ailleurs, un monde à part. A l’époque,                                        à chiper les kippot, raconte Brahim
                  les remparts sont aussi dans les têtes :                                      Lamine. Mais quand quelqu’un d’un
                  ils protègent de l’extérieur et assurent                                      autre quartier venait importuner les
                  à l’intérieur la pérennité d’un mode                                          juifs ou tentait de créer des différences
                  de vie. Ce sentiment d’appartenance                                           entre nous, ça se terminait en
                  se cristallise autour de l’équipe de                                          bagarres : nous étions protecteurs. Il y
                  football issue de la médina, le WAC.                                          avait un sentiment d’appartenance au
                  « Il y a d’abord eu le RAC, le Racing                                         quartier très prononcé, à la rue près
                  Afrique Club, qui s’est formé en                                              pratiquement. » Ces bagarres obéissent
                  1917, rappelle Abdelghani B. Le                                               d’ailleurs à un rite très précis, presque
                  Wydad n’a été créé qu’en 1937.                                                tribal : « deux groupes escortaient
                  Dans le quartier, nous étions tous                                            les types qui allaient se bagarrer à la
                  Wydadis. » Et ceci, à la vie et à la                                          Sqala, se souvient Abdellatif Lasri.
                  mort : « On a gagné, Wydad. On a                                              Chacun chauffait celui qu’il supportait,
                  perdu, Wydad. C’était pareil. Que                                             comme un taureau avant la corrida. Et
                  l’on perde ou que l’on gagne, on était   L’hôtel-restaurant Wydad.            on marchait… Chacun défendait son
                  content », affi rme Mohamed Vigon.                                             quartier, son territoire. ».




                  UNE GRANDE FAMILLE
                  UNE GRANDE FAMILLE                    Dans la médina de ces années-là, les portes   petites sardines, etc. Pour les femmes, c’était la
                                                        ne sont jamais fermées à clef. On circule d’une
                                                                                           cuisine. Les hommes rentraient complètement
                                                        maison et d’un appartement à l’autre, on se   pétés ! Il y avait une ambiance dans ce
                                                        parle depuis les balcons. « Il ne serait pas venu   quartier-là qui était hors argent, hors intérêt. On
                                                        à l’idée de quelqu’un d’aller prendre des choses   était dans l’amitié, dans la réception des autres.
                                                        dans d’autres maisons », explique Brahim   Il n’y avait pas de jalousie. C’était une ambiance
                                                        Lamine. Au contraire, le voisin est toujours le   exceptionnelle ! »
                                                        bienvenu : « le voisinage de l’époque, c’était
                                                        ton fi ls est mon fi ls et ton père est mon père,   Turbulents et généreux, des enfants
                                                        affi rme Mohamed Vigon. Mes vêtements sont   de l’ancienne Médina.
                                                        les tiens. Si ton père est absent à ton retour
                                                        de l’école, tu viens chez moi, à la maison. Si
                                                        le déjeuner n’est pas encore prêt chez moi et
                                                        que la table est dressée chez toi, je viens et
                                                        je rentre déjeuner avec toi ». Les souvenirs
                                                        abondent, identiques d’une personne et
                                                        d’une époque à l’autre. « Il y avait moins de
                                                        monde dans la médina et tout le monde se
                                                        connaissait, témoigne Abdellatif Lasri. Il y avait
                                                        le respect du voisinage, de l’âge. On ne fermait
                                                        pas les maisons : quand ma mère n’était pas
                                                        là, j’allais chez notre voisine, Marie Ohana, qui
                                                        habitait le même étage. » « Le voisin était l’égal
                                                        du père dispensant l’éducation, admonestant
                                                        en cas de bêtise et donnant des sucreries si
                                                        l’on avait une bonne note, ajoute Abdeghani
                                                        B. Je me souviens de Madame Costuna, une
                                                        Espagnole qui nous gâtait de bonbons et de
                                                        friandises. Pour vous donner une image, quand
                                                        un habitant arrosait son jardin, il arrosait aussi   Si les fêtes et le bonheur sont partagés,
                                                        celui de son voisin. »             le malheur l’est aussi. « Quand il y avait un
                                                        Dans le Mellah, tous les samedis après la   décès, une personne isolée, les gens aidaient,
                                                        prière du matin, la rue se transforme en   rappelle Brahim Lamine. Il y avait une solidarité
                                                        kermesse géante : « C’était la pagaille totale, se   réelle, qui venait du cœur, et cette entraide,
                                Dans l’ancienne Médina, la rue est un   souvient Albert Elmaleh. Les gens rentraient,   ce partage du drame comme de la joie. Parce
                                lieu de rencontre et de convivialité.  sortaient, s’interpelaient, s’invitaient… Pour les   que nous partagions une chose : c’était la
                                                        hommes, c’était l’apéro avec des bières, des   pauvreté. »


                                                                                              Novembre   2011    VH magazine   47
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