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CASABLANCA 1920 -1970 I I  Ancienne Médina



                                    LE MONDE DISPARU
                                    LE MONDE DISPARU

                                DE L’ANCIENNE MÉDINA
                                DE L’ANCIENNE MÉDINA



                     LE PLUS ÂGÉ A 67 ANS, LE PLUS JEUNE UNE QUARANTAINE D’ANNÉES. DE LEURS ANNÉES DE JEUNESSE, ILS GARDENT POURTANT LE
                  MÊME SOUVENIR, CELUI D’UNE PARENTHÈSE ENCHANTÉE. ILS NOUS RACONTENT DES TRANCHES D’UNE VIE JOYEUSE, SOLIDAIRE ET D’UNE
                                            INCROYABLE DRÔLERIE, EN DÉPIT DE SA PAUVRETÉ ET DE SA RUDESSE.


                  D’OÙ ILS VIENNENT
                  D’OÙ ILS VIENNENT
                                               A partir des les gens des années 1910, de la main d’oeuvre arrive à
                  Leurs pères sont arrivés dans
                                               Casablanca de tout le pays en flots  continus. C’est dans les années
                  le courant des années 1930 de   1930 que cette immigration est la plus importante.
                  tout le pays, en quête d’un emploi,
                  attirés par la terre promise qu’était
                  alors Casablanca. Comme tous les
                  nouveaux arrivants marocains, c’est
                  tout naturellement qu’ils se sont
                  installés dans l’ancienne Médina.
                  A la recherche d’un avenir meilleur
                  pour eux, mais surtout pour leurs
                  enfants à venir. Certains, comme
                  le père d’Albert Elmaleh, ont mis
                  des semaines pour y parvenir :
                  « La première fois qu’il est venu
                  à Casa pour travailler, en 1935,
                  il a dû marcher pendant deux
                  mois et demi, raconte-t-il. Il venait
                  d’Azilal, près de Béni Mellal. Il
                  fallait traverser les montagnes, il
                  n’y avait pas de routes. En arrivant,
                  mon père a commencé dans une
                  société française qui fabriquait des
                  sacs de jute. Il s’est marié avec ma   Leurs six enfants naquirent au 275,   la colocation dans des sortes de   dit-il. Mon père était fonctionnaire à
                  mère en 1958. Mon frère Judas est   rue Jemaâ El Chleuh. Plus tard, la   ryads. Comme tout Casablanca,   la préfecture, ma mère élevait ses
                  arrivé en 1959 et moi en 1960. En   famille s’installera rue Lusitania, près   nous avons suivi un processus   cinq enfants, ce qui est déjà pas
                  tout, nous sommes six garçons et   de la place Verdun. Le signe d’une   de promotion par l’habitat : nous   mal. Je suis né en 1957, dans le 1er
                  une fi lle. Mon père a travaillé toute   progression sociale identique à celle   avons déménagé dans la rue des   arrondissement de la Médina, dans
                  sa vie dans des conditions terribles.   de Brahim Lamine. « Je suis né   Anglais, puis place Verdun. » La   un appartement. Ensuite, nous avons
                  A l’époque où il fabriquait des sacs   dans l’ancienne Médina en 1950,   famille d’Abdellatif Lasri, elle aussi,   déménagé rue du Commandant-
                  de jute, il a perdu un œil. Il travaillait   raconte-t-il. Au départ, nous avons   suivra une trajectoire ascendante :   Provost, dans le ryad Zouhara ». Puis
                  pour 20 dirhams par semaine. Ma   habité le Mellah parce que c’était   « Mon père est de Rabat, ma mère   la famille partira pour le centre ville.
                  mère a commencé à travailler pour   le quartier où le coût de l’habitat   de Casablanca : je ne sais pas   D’autres parents choisiront de
                  Alu Maroc à l’âge de 13 ans, pour   était le moindre car on pratiquait   comment ils se sont rencontrés,   rester dans la Médina, laissant leurs
                  15 dirhams par semaine. Jusqu’à                                                 enfants s’envoler vers d’autres cieux.
                  aujourd’hui, ni mon père, ni ma                                                 C’est le cas de ceux d’Aziz Chabine,
                  mère ne savent lire et écrire ».                      Bhayra , à l’emplacement de l’actuel   né à Derb Si Bouchaib avant de
                                                                        Hyatt Regency, où se rassemblent les
                  Le père de Joseph Oiknine, Aaron,                                               déménager au 67, rue d’Azemmour,
                                                                        conteurs, les marchands ambulants...
                  est, lui, arrivé d’Azemmour avec ses                                            où il grandira avec ses sept frères
                  cinq frères. C’est à Casablanca qu’il                                           et ses cinq sœurs. Son père était
                  a rencontré celle qui allait devenir                                            arrivé à Casablanca dans les
                  sa femme, Mercedes, venue de                                                    années 1930 afi n de travailler au
                  Tétouan avec toute sa famille.                                                  port. Grimpant les échelons, il fi nira
                  Elle commença sa vie en tant que                                                par conduire la plus grande grue du
                  couturière, avant qu’au cours d’une                                             port. Les parents d’Abdelghani B. et
                  hospitalisation, elle apprenne le                                               ceux de Mohamed Vigon, dit « Vigon

                  métier d’infirmière. Dès lors, elle                                              de Bourgogne », eux, sont restés
                  gagna sa vie en faisant des piqûres,                                            ancrés à leur port d’attache, tandis
                  d’abord au dispensaire du boulevard                                             que leurs fi ls s’installaient dans le
                  Moulay-Youssef, puis à son domicile.                                            quartier Bourgogne.



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