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UN SEUL DIEU POUR TOUS
UN SEUL DIEU POUR TOUS
« Nous étions tous des la table un gros poisson enduit
Marocains. La religion n’est pas de farine et on posait des pièces
une nationalité » : la formule dessus pour avoir de l’argent
d’Abdellatif Lasri apparaît toute l’année. »
aujourd’hui angélique. Mais il Dans les rues, les prières se
fut un temps où elle illustrait mélangent. Joseph Oiknine affi rme
une réalité : celle de l’ancienne que, dans son enfance, « celui qui
Médina de Casablanca. « A appelait à la prière à la mosquée
l’époque, on ne se posait Jemaâ Al Chleuh avait la plus
pas la question concernant belle voix de toutes les mosquées
la religion ; les adultes je de la ville ». Albert Elmaleh,
ne pense pas et les enfants lui, se rappelle qu’un vieil homme
sûrement pas, affi rme Brahim musulman qui habitait au-dessus
Lamine. Cette cohabitation se de la synagogue qu’il fréquentait
caractérisait principalement connaissait toutes les prières juives
par cœur. Haïm Pinto, le petit-fi ls
du rabbin dont il porte le nom et
dont la maison est devenue un
lieu de recueillement, se souvient :
« Quand j’étais tout petit, le matin,
en partant à l’école, je trouvais des
bougies allumées sur le pas de la
porte. C’étaient des musulmans
qui les posaient là. »
Symbole de cette entraide sans
arrière-pensée, on allaite les uns
chez les autres. « Bébé, j’étais
fl uet, presque rachitique, explique
La mosquée d’Ould el Hamra. Brahim Lamine. Et on avait pour
coutume de dire : ‘telle juive a
du bon lait’. Donc, on m’amenait
La synagogue Ettedgui.
chez l’une d’elles pour que je sois
bien allaité. » Joseph Oiknine,
lui, a été allaité par sa voisine et
meilleure amie de sa mère, Fatima.
Plus tard, ces enfants qui ont
grandi ensemble continuent de
tout partager. « Adolescents, on
a arrêté les bagarres parce qu’on
a découvert la musique, raconte
Mohamed Vigon. On allait passer
du temps place Verdun avec les
La maison du Rabbin Haïm Pïnto. juifs de notre quartier pour écouter
des disques au magasin Jalal.
C’est avec les juifs qu’on a appris
par l’entraide et la solidarité, comment s’habiller à la mode,
tout était partagé. Si ma mère comment écouter de la musique.
décidait de faire un tagine aux C’était l’époque de James Brown,
sardines, il était certain que de la musique noire américaine.
les autres allaient le goûter, et On a acheté des tourne-disques
inversement. Avec les autres sur lesquels on faisait jouait des
enfants, on jouait ensemble, on 33 tours et des 45 tours. C’est
partageait les mêmes fêtes. A dans les garçonnières que l’on
tel point que nous participions a commencé à organiser des
à la construction de la cabane surprises-parties. Nos amis
pour Souccoth et aux cortèges. juifs venaient se joindre à nous.
Nous fêtions ensemble les fêtes Certains habitaient au Mellah mais
musulmanes et les fêtes juives. » les plus occidentalisés d’entre eux
« A l’époque de la Mimouna, habitaient sur Verdun et Ziraoui.
les musulmans nous amenaient C’est eux qui nous ont introduits
un tas d’offrandes, se souvient à la musique et à la civilisation
Joseph Oiknine. On mettait sur occidentale moderne. »
48 VH magazine Novembre 2011

