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CASABLANCA 1920 -1970 I I Ancienne Médina
À
DES COUTUMES
DES COUTUMES À LA SUPERSTITION sont numérotées ou affublées Joseph Oiknine. Il y en avait un
SUPERSTITION
L
A
d’un signe qui permet de les qui s’appelait Yahia Debah. Il
Plus que les pratiques particulier celle du Mellah. La reconnaître. « On appelait ‘terrah’ était très gros. Il s’asseyait au
proprement religieuses, se sont sacro-sainte dafi na du samedi le type qui entrait dans le four milieu de la cuisine et donnait
les coutumes qui rythment la en est la meilleure illustration. pour les récupérer, poursuit ses instructions à tout le monde,
vie de l’ancienne Médina, et en Arrivées au four, les marmites Joseph Oiknine. Il s’enroulait les comme un chef d’orchestre.
bras de toile de jute pour ne pas Nous prêtions souvent notre
Un marchand d’épices du Mellah. se brûler. Souvent, il se trompait terrasse pour les mariages. On
de dafi na. Tu crois que ma mère avait ‘salamoun’, là où les mariés
la rendait ? Par curiosité, elle s’asseyaient. On les tendait de
l’ouvrait et goûtait pour voir si elle bleu et de blanc. Le marié était
était bonne ! Tekh m’zala ! Vas assis là toute la journée, tout
me chercher la mienne ! Si elle maigrichon ; et la mariée, toute
était bonne, on mangeait un petit grosse. A l’époque, les femmes
bout et on la rendait. » Après la étaient grosses et on avait du
dafi na, le rituel est immuable : mal à les faire monter dedans.
« les parents nous donnaient de Une fois, la mariée était tellement
l’argent pour aller au cinéma… et obèse que ‘salamoun’ est
ils faisaient des gosses », conclut tombée. »
notre interlocuteur. De la religion à la superstition,
Comme à peu près tout dans la dans la Médina, il n’y a qu’un pas.
médina, le deuil est l’occasion « Pour nous, Aïcha Kandicha
d’une mise en scène théâtrale. existait vraiment, affi rme Joseph
« On faisait venir des pleureuses Oiknine. Nous avions peur de
dans les maisons, décrit Joseph rentrer seuls aux bains. Une
Oiknine. Tout d’un coup le mort femme juive a disparu dans les
devenait beau, sympathique, bains de la rue des Anglais : on
gentil… Tu fi nissais par le croire, ne l’a jamais retrouvée ! J’ai vu
même quand le type était une des types qui étaient normaux
crapule ! » le soir et qui revenaient le
Les mariages, bien évidemment, lendemain matin avec les traits
donnent également lieu à des complètement de travers : on
scènes pittoresques. « Autrefois, disait qu’ils s’étaient battus dans
il n’y avait pas de traiteurs la nuit avec des jnouns. » On
cashers. Il y avait des cuisiniers ne connaissait pas encore les
qui venaient à la maison, raconte accidents cardio-vasculaires…
PAUVRES OU RICHES CACHÉS ?
PAUVRES OU RICHES CACHÉS ? L’une des rues grouillantes du Mellah.
D’un interlocuteur à l’autre, le degré rien d’autre. Chez mes parents,
de pauvreté des habitants de la nous n’avons eu la télévision qu’en
Médina varie considérablement. 1973. » Même son de cloche de
S’il est certain que la majorité des la part de Brahim Lamine qui
parents arrivés dans les années affi rme que « le point commun
1930 étaient extrêmement pauvres, de la majorité des gens de la
il est probable que la plupart Médina, c’était la pauvreté. Les
d’entre eux se soient enrichis assez parents étaient plutôt dans la sur-
rapidement, comme le prouve vie quotidienne qu’autre chose ».
d’ailleurs leur déménagement Joseph Oiknine rappelle que dans
vers des quartiers plus aisés. En les années 1950, les enfants de
attendant, les conditions de vie sont la Médina, hormis les plus aisés,
loin d’être enviables. « Quand nous portaient des sandales fabriquées
étions enfants, nous portions des à partir de pneus : « Quand elles
sandales en plastique qu’on se se déchiraient, il fallait les mettre à
passait du grand au petit, raconte tremper pendant une demi-heure
Albert Elmaleh. On s’habillait grâce pour que la gomme se ramollisse faisaient un peu de réserve, elles abordables ne sont arrivées que
à des colis venus des Etats-Unis, avant de les réparer. Les clous ne achetaient de l’or et ne l’affi chaient dans les années 60. » Une opinion
d’où on nous envoyait des pulls et rentraient pas autrement ». pas. Il n’y avait pas d’occasion que partage Meyer Sommer :
des jeans. On arrivait à la maison et Une description que modère de gaspiller, pas de franchises « Notre mode de vie faisait qu’on
on mangeait ce qu’il y avait. Celui Aziz Chabine : « Les gens ne le de vêtements, pas de magasins se contentait de peu. On n’avait
qui arrivait en retard ne trouvait montraient pas, mais ils avaient de jouets… Ils n’avaient pas où pas de folies de grandeur dans la
plus rien. Ceci dit, nous n’étions de l’argent : c’était tous des dépenser de l’argent. On avait des tête. On travaillait, on respectait les
pas malheureux de notre condition commerçants. Mais ils avaient un sandales en pneu principalement fêtes : c’était une vie simple ».
parce que nous ne connaissions côté discret. Quand les femmes parce que les premières sandales
50 VH magazine Novembre 2011

