Page 53 - VH Magazine N°114 - Novembre 2012
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DOSSIER I I « Marocain, Chkoun N’ta? »
Vous avez dit arabe ?
Si le nombre des Hilaliens de sang
arabe à débarquer en Afrique
du Nord est estimé à 250.000
hommes, femmes et enfants, dont
50.000 guerriers, celui à atteindre
le Sud du Maroc au 11e siècle
ne dépasse pas les 100.000. Ils
sont ainsi quelques dizaines de
milliers à intégrer une population
berbère locale de plusieurs millions
d’habitants. Numériquement, le
nombre de Hilaliens n’est donc
guère plus important que le nombre
de Vandales qui franchirent le
détroit de Gibraltar pour débarquer
sur les côtes d’Afrique en mai 429.
Ou encore de celui des Byzantins,
un siècle plus tard. Comment se
fait-il qu’alors qu’il n’y a plus aucune
trace au Maroc desdites invasions
vandales et byzantines, celle des
Beni Hilal, quant à elle, ait pu avoir
un tel impact sur le pays, au point
de l’arabiser en profondeur ? Pour « C’est toujours en tant que combattants qu’ils s’introduisaient dans
expliquer ce qui peut sembler les luttes politiques à la recherche de meilleures rétributions. »
être une énigme de l’histoire,
rappelons-nous que le Maroc a
d’abord connu, dès le Ve siècle, « en arabe dans le texte ». zénètes « arabisées ». A ce marocaines seraient issues de leur
une importante arrivée de nomades Gabriel Camps, dans phénomène s’ajoute celui du jeu fi liation : les Sbihi, Awwad, Gharbi,
berbères orientaux, les Zénètes. son Encyclopédie de la politique des souverains berbères Maâroufi , Fekkak, Sehimi, Reghay,
Ces derniers avaient perturbé le Méditerranée, au chapitre « Les « qui n’hésitent pas à utiliser la Ayyadi, Aroui, Kholti, Soufiani,
mode sédentaire des populations Berbères », ajoute que la prédation mobilité et la force militaire des Harthi, Gueddari, Malki, Jamaï, ou
locales et introduit l’Islam. L’arrivée des Hilaliens « renforce ainsi nouveaux venus contre leurs encore les Hilali de Doukkala qui
des tribus bédouines va porter un l’action dissolvante des nomades frères de race ». Les actions se réclament de la lignée directe
nouveau coup à la vie sédentaire, néo-berbères. Précurseurs des guerrières des mercenaires d’Abou Zayd el-Hilali. »
par leur déprédations et les Hilaliens, les nomades zénètes arabes, accompagnées de Avec l’affaiblissement des
menaces qu’elles font planer sur furent facilement assimilés par pillages, d’incendies ou de simples Almohades qui les avaient
les campagnes ouvertes. Mais ces nouveaux venus. Ainsi, les chapardages alliés au phénomène introduits au Maroc, les Béni Hilal
elle va aussi apporter « la version contingents nomades arabes, qui de nomadisme s’identifiant (principalement les Khlot) apportent
originale » de l’Islam. Une version parlaient la langue sacrée et en avec l’arabisme bédouin, efface leur aide militaire aux Mérinides
tiraient un grand prestige, loin d’être dans des régions entières la zenata. Mais, avec le temps, ces
absorbés culturellement par la vie sédentaire des plaines. On rapports entre les tribus bédouines
masse berbère nomade, l’attirèrent assiste à un phénomène de et les dynasties berbères
Ce sont les à eux et l’adoptèrent ». Gabriel repli des populations berbères commencent à dépasser le simple
Camps précise que : « L’identité des dans les montagnes et, hormis le cadre militaire. A titre d’exemple
tribus et les genres de vie facilita la confusion. Sahara, les zones berbérophones et pour tempérer le portrait, fort
Il était tentant pour les nomades du pays deviennent les régions peu reluisant au demeurant, des
dynasties berbères berbères de se dire aussi arabes montagneuses, « comme si celles- Béni Hilal, Mouna Hachim rappelle
marocaines qui et d’y gagner la considération et ci avaient servi de bastions et que : « Par exemple, sous les
le statut de conquérants ; voire de de refuges aux populations qui Mérinides, le Sultan avait fait appel
ont fait appel à chérif, c’est-à-dire descendant du abandonnaient progressivement à un Zénète, Ahmed ben Gendouz,
Prophète. L’assimilation était encore le plat pays aux nomades et semi- pour venir s’occuper du cheptel
la mobilité et à facilitée par une fi ction juridique nomades, éleveurs de petit bétail, royal de la région s’étendant du du
la force militaire : lorsqu’un groupe ou une faction arabes ou arabisés ». Haouz au Souss. Or, ce Zénète est
devient le client d’une famille arabe, Pour les populations arabisées, venu avec ses suzerains arabes
des arabes Beni il a le droit de prendre le nom de l’assimilation se fait par la bédouins, dont la famille Sbihi.
son patron, comme s’il s’agissait concordance des genres de vie, C’est ainsi que cette famille Sbihi
Hilal contre
d’une sorte d’adoption collective. mais aussi par les liens de sang. est devenue l’intendante chargée
leurs frères de L’existence de pratiques analogues En effet, comme le rappelle de la gestion du troupeau royal
chez les Berbères eux-mêmes Mouna Hachim, les Béni Hillal de la région du Haouz. C’est
race. facilitait encore le processus ». s’allient par les liens du mariage pour vous dire que ces Bédouins
L’arabisation du pays se fait donc avec les Berbères autochtones arabes-là n’étaient pas tous des
via celles de tribus nomades et « d’innombrables familles mercenaires ».
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