Page 57 - VH Magazine N°114 - Novembre 2012
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DOSSIER  I I  « Marocain, Chkoun N’ta? »

                  Le saint homme cria de tous ses   a fondé la confrérie Rahhaliya et   leur tour des mystiques, des lettrés,   qui se trouvent sur le parcours
                  poumons : ‘Il n’y a de Dieu qu’Allah   qui était réputé pour avaler de l’eau   des théologiens, des jurisconsultes,   du pèlerinage à la Mecque, comme
                  et Mohamed est son Prophète ; où   bouillante ou avaler des serpents.   des notaires, mais aussi des   c’est le cas pour la zaouïa Naciriya
                  sont les djinns de l’air ? Où sont les   Enfi n, citons Mohamed Ben   propriétaires terriens, des notables   à Tamegourt, dans le Draâ, du
                  djinns des forêts et des déserts ?   Youssef, dit Bou darqa en raison,   et des chefs de tribu, intercesseurs   cheikh Mhammed Ibn Nacer Daraî,
                  Où sont les djinns des océans et   dit-on, du fabuleux bouclier dont ils   auprès du pouvoir central... A   disposent de riches bibliothèques
                  des îlots ? Où est cet ennemi de   se revêtait lors de ses combats.   l’extérieur, grâce à sa grande toile   comprenant des traités
                  soi-même qui a séparé la femme   Concernant l’aspect socio-  maraboutique et à la constellation   d’astronomie, de médecine, de
                  de son mari ?’ et le djinn tomba du   ethnologique et l’importance   de zaouïas de même obédience,   sciences botaniques, de sciences
                  ciel et sur son dos, la femme. Et le   sociale des zaouïas marocaines,   ces hommes voyageaient en quête   humaines, etc. de premiers plan.
                  Seid ben Abdel-Battache lui dit :   Hachim écrit : « la zaouïa, de   de connaissance et de rencontres   La zaouïa de Tamegourt à elle
                  ‘Va-t-en ennemi de Dieu !’ Le djinn   manière schématique, est   jouant par la même occasion   seule, par exemple, attirait de tous
                  s’envola au ciel et le saint vola à sa
                  suite et le coupa en deux en plein
                  vol : brûlé, le djinn tomba comme
                  une météorite dans l’océan. »
                  Ces dons prodigieux, beaucoup
                  d’autres saints à travers le Maroc
                  s’en prévalent pour asseoir leur
                  légitimité. Un phénomère qui atteint
                  son apogée au 16ème siècle,
                  lorsque le pays est livré aux sacs
                  des Portugais, à la déliquescence
                  du pouvoir, aux disettes chroniques
                  et à la peste. Mouna Hachim en
                  relève plusieurs dont, par exemple,
                  ceux du saint Sidi Mohamed
                  Ben Youssef, à qui on attribuait
                  le pouvoir d’entrer dans un four
                  embrasé sans se brûler. C’est
                  le cas également d’Ibrahim ben
                  Abdallah ben Ahlmed Khayat
                  Rifai, surnommé Khayat en raison
                  de sa capacité prodigieuse à
                  suturer les plaies par simple
                  imposition de ses mains sur les
                  blessures les plus profondes. On   Moussem des Regraga à Essaouira.
                  peut citer également Mohammed
                  Ibn Mansour, surnommé Misbah                                                     les coins du Maroc et d’Orient des
                  (fl ambeau) en raison de la traînée                                               adeptes qui s’en allaient à leur tour
                  de feu qui, dit-on, le suivait                                                   propager l’enseignement naciri
                  mystérieusement. Sidi Abdallah                                                   à travers les quelque 300 filiales

                  Ben Hssayen, surnommé pour la                                                    fondées à l’intérieur et à l’extérieur
                  densité de son savoir « l’homme                                                  du Royaume. Les pèlerins qui
                  aux 366 siences » et qui avait le                                                faisaient halte dans ces
                  don de protéger les agriculteurs                                                 zaouïas pouvaient bénéfi cier de
                  contre les attaques dévastatrices                                                l’enseignement de fkihs versés
                  des moineaux à Marrakech. Autre                                                  dans différentes disciplines et, au
                  saint aux pouvoirs surnaturels, Amel                                             terme de leur cursus, obtenir une
                  El-Hamel, surnommé Bousbaâ                                                       jihaza (diplôme) attestant qu’ils
                  (le père des fauves). La légende                                                 ont été disciples et qu’ils ont reçu
                  raconte qu’alors que le cheikh                                                   le savoir du maître en question
                  dirigeait la prière du Dohr, soixante-  Zaouia Naciriya de Tamegourt dans le Draâ.  qui, lui-même, est dépositaire
                  dix Berbères Aït Atta razzièrent                                                 de l’enseignement d’un maître
                  les troupeaux de la communauté,   généralement bâtie autour de la
                  mais ils n’eurent pas le temps de   fi gure de l’ancêtre, adulé pour ses   un rôle déterminant dans la   reconnu avant lui etc. «Mouna
                  franchir le territoire de la tribu que   vertus, pour sa science et pour   propagation des valeurs de l’Islam.   Hachim donne l’exemple d’un Sayid
                  les deux fi ls du cheikh (Aamer et   ses prodiges. Il est inhumé en ces   C’est le cas par exemple pour la   tel que Sidi Saïd Ahansal, né au
                  Amrane) se transformèrent en lions   mêmes lieux où il vécut et dispensa   Tijaniya et la Qadiriya en Afrique   milieu de la tribu des Beni Mthir en
                  féroces, tandis que le troisième                      Noire ».                   1052/1643. La vie de Sidi Saïd est

                  fi ls, Mohamed, se transfigurait   ses enseignements à ses disciples.   En sus de l’enseignement   jalonnée de récits légendaires et
                  en panthère (d’où son nom de   Ses descendants, héritant de sa   religieux prodigué en leur sein,   d’aventures périlleuses marquées
                  Noumer), déchiquetant toutes leurs   baraka, baignant dans un univers   les zaouïas enseignent aussi les   par l’étude et par la quête spirituelle.
                  proies. Autre saint, Bouya Omar qui   de savoir et de piété, fournissent à   sciences exactes puisque celles   Après avoir reçu l’enseignement



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