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HADJ MOHAMED CHRAÏBI
« NOUS ACHETIONS
NOS ARMES
AUX AMÉRICAINS »
Les Fassis ont commencé à deux Américains chez eux, à la
s’installer à Casablanca dans maison. Ils leur servaient des
les années 30. La plupart ont pastillas, des mhenchates, des
loué des maisons aux Habous tagines au poulet. L’Américain
et travaillé dans le commerce ne comprenait pas ce qui lui
Allal Al Fassi avait demandé à un certain nombre de résistants fassis de
à la route de Médiouna. Je arrivait : « Qu’est-ce qu’il y a ?
s’installer à Casablanca afin d’y organiser la lutte pour l’indépendance.
suis né en 1927. Comme Qu’est-ce que vous voulez ? »
d’autres familles dont le père Alors le résistant lui répondait:
était résistant, nous sommes «Vous savez, Casablanca est
venus à Casablanca en devenue très dangereuse. Il y a
1937 sur instruction d’Allal El des assassinats, des meurtres.
Fassi. Il fallait travailler pour Nous avons peur pour notre
la nation, pour le parti, etc. famille. Nous voulons juste
A Casablanca, mon père à pouvoir nous défendre ». Alors
construit la première école l’Américain leur vendait deux
d’enseignement de l’arabe, ou trois pistolets et des fusils
l’école Ennajah, en 1939. pour 200 ou 300 dirhams
Dans le quartier des Habous, pièce. Et lorsque les résistants
le « Nadir al Ahbas » vérifi ait, de Ben Guerir ou de Kenitra
avant de louer une maison, si amassaient un certain nombre
la famille était digne d’habiter d’armes, ils appelaient des
dans le quartier. Enfants, le camarades qui venaient les
seul loisir que nous avions chercher et les distribuaient
était de nous rendre en fi n aux combattants à Casablanca.
d’après-midi à la gare de Mon frère, Ahmed Chraïbi,
chemin de fer pour voir qui était chargé de cette tâche.
arrivait du train et qui prenait Concernant l’argent nécessaire
le train. Les dimanches, on pour acheter les armes, les
louait une carriole et on résistants écrivaient une lettre
se rendait à la plage. Au à un commerçant juif où ils
début des années 1940, le menaçaient de brûler sa
Les résistants invitent les Américains à partager un repas,
afin de la convaincre de leur vendre des armes. il y a eu le débarquement maison s’il ne payait pas un
des Américains. Grâce à million de francs. Parce que
eux, l’activité commerciale à c’étaient les juifs qui faisaient
Casablanca a fait un bond. l’essentiel du commerce à
Ils avaient énormément de Casablanca. Par exemple,
marchandises et de machines c’est eux qui importaient le
qu’ils vendaient à des prix thé de Chine, activité interdite
dérisoires. Ils avaient aussi aux musulmans. En 1956,
des armes, que la résistance à l’indépendance, il y a eu
a commencé à acheter. Dans beaucoup de troubles au
notre groupe du nom de Maroc. Les ex-résistants
Croissant noir, nous avions une s’entretuaient. C’était la
bande à Ben Guérir et une « siba ». Mon frère, Ahmed
autre à Kénitra, près des deux Chraïbi, en a fait les frais. Ils
bases américaines installées l’ont pendu avec une fi celle
au Maroc, qui achetaient les et ont ensuite jeté son corps
armes aux Américains. Les dans un terrain vague. Il est
résistants invitaient un ou mort en martyr.
Les résistants se ravitaillent en armes dans
les bases américaines de Ben Guérir et Kénitra. Novembre 2011 VH magazine 109

