Page 106 - Lire votre magazine en version PDF
P. 106
CASABLANCA 1920 -1970 I I La résistance
LE TEMPS DES l’exil de Mohammed Ben Youssef et
de la famille royale en Corse, puis à
ARRESTATIONS Arrestations aux Carrières Centrales après des soulèvements. Madagascar. Un nouveau « sultan »,
Mohamed Ibn Arafa est élu par les
En 1952, Mohammed Ben Youssef Oulémas avec l’appui du Pacha de
réclame une nouvelle fois à la France Marrakech, Thami El Glaoui. Le même
l’indépendance du Maroc. Devant jour débute « la révolution du Roi et
le refus de celle-ci, il entame une du peuple ». « Après l’exil de la famille
« grève des dahirs ». Ce durcissement royale, l’Istiqlal – où ce qu’il en restait
est suivi d’une vague d’arrestations. parce qu’une grande partie de ses
« Un jour, au début des années 50, membres était en prison – a décidé
l’armée française est venue chercher de passer à l’action armée, raconte
mon père à notre domicile du Derb Ahmed Benkirane. La résistance
Sbagnol, se souvient Soukaina, fi lle se composait de petites cellules
indépendantes les unes des autres,
formées de peu de gens, et menait
des opérations ciblées. Quelques
armes étaient arrivées de Tanger. Par
exemple, un certain Chtouki possédait
une limousine dans laquelle il faisait
venir des touristes riches de Tanger.
Il acheminait des armes en même
temps que les touristes et était l’un
de ceux qui aidaient les résistants à
passer en zone espagnole. C’était un
mondain qui connaissait toute la police
Allal ben Abdallah, l’un des symboles française et espagnole et n’a jamais
Mohamed Ibn Arafa, le « sultan » nommé par les autorités françaises. de la résistance au Maroc .
été inquiété. »
du résistant Bouchta Jamaï, née en
1942. Il y avait là quatre ou cinq jeeps
et un tank. Nous avons entendu le
bruit des véhicules mais les militaires
se sont trompés d’adresse et ont
pénétré chez les voisins. Mon père
en a profité pour ramasser tous
les documents compromettants
en sa possession, les découper en
morceaux et en jeter le maximum
par l’interstice du puits muré qui
se trouvait dans la cuisine. Les
Thami El Glaoui et Mohamed Ibn Arafa. Une saisie d’armes aux Carrières Centrales, après les émeutes.
militaires sont rentrés chez nous et
l’ont emmené. Au début des années raconte Soukaina. En classe, il nous majorité de ses droits politiques
50, tous les hommes de ma famille faisait travailler comme des fous et de condamner l’Istiqlal et L’ESCALADE DE
étaient en prison. Mon grand-père, pour que nous soyons meilleurs que les communistes, sous peine LA VIOLENCE
mes oncles, mon père, les amis de les Français. Que nous connaissions de le déposer. Il s’ensuit des C’est l’escalade : le 27 novembre,
mon père... Il n’y avait que les femmes la langue française mieux qu’eux. manifestations anti-françaises l’Organisation secrète pose une
pour s’occuper des enfants. Et c’était On était donc imbattable en dans les grandes villes du pays bombe dans un train parti de
le cas dans beaucoup de familles orthographe et incollable en qui, là encore, sont réprimées Casablanca, qui explose à l’approche
marocaines de résistants. » grammaire et lorsque l’on a passé dans le sang. Pour la majorité des de Rabat. Bilan : six morts, dont deux
Le désir d’indépendance s’ancre dans l’entrée en 6ème française, on a été Européens qui vivent dans une Français, et 14 soldats blessés. Le
toutes les couches de la population. reçus avec les honneurs. » joyeuse et totale insouciance, le 24 décembre 1953, une bombe
Les nationalistes labourent En août 1953, la France demande réveil est rude. Le lobby des colons explose au Marché Central à dix
inlassablement les bidonvilles, au Sultan de renoncer à la obtient du gouvernement français heures du matin. L’opération fait 19
faisant naître chez les laissés pour
morts et 48 blessés. Les représailles,
compte du Protectorat l’envie de évidemment, se multiplient : « un jour,
se débarrasser du régime colonial. Le 27 novembre 1953, une bombe posée dans un train il y a eu une descente de police dans
Des émeutes éclatent aux Carrières parti de Casablanca explose à l’approche de Rabat.
mon magasin alors que le Marrakchi
Centrales, violemment réprimées. Les
Moulay Abdeslam Jibli (l’un des
intellectuels, quant à eux, s’emploient
chefs de la résistance) était présent.
à convaincre des populations plus
En quelques secondes, il a enfi lé un
privilégiées. « Durant mes études
tablier, s’est mis quelque chose sur la
primaires à l’école Mohammedia, j’ai
tête et a commencé à travailler avec
eu pour instituteur Saïd Saddiki, le
les ouvriers. Heureusement, les
dramaturge et frère de Tayeb Seddiki,
106 VH magazine Novembre 2011

