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Berth Gilavert dans son garage du Maârif, rue Pelvoux.  Photos de classe des écoles du Maârif.















                 Famille espagnole du Maârif dans les années 40.














                                                                                           Famille espagnole du Maârif dans les années 40.

                  UN MODE DE VIE À L’ESPAGNOLE
                  UN MODE DE VIE À L’ESPAGNOLE

                                                                                            L’EXIL
                 Un samedi après-midi ensoleillé, il y a soixante ans   vaudront au quartier le surnom de « Petite Sicile ».
                 au Maârif. C’est jour de corrida. Quelque 10.000   « C’était une époque bénie des dieux, se souvient
                 hidalgos, dans leur plus belle mise, assistent   Berthe Gilavert, l’une des dernières Européennes
                                                                                           À l’indépendance du Maroc, en 1956, les
                 dans les gradins des Arènes de Casablanca au   du Maârif. C’était un quartier très familial et bon
                                                                                           communautés européennes résidant au Maroc
                 combat livré par un matador contre un taureau.   enfant. Le matin, on sortait les chaises et tout le
                                                                                           se voient très vite livrées à elle-même. En effet,
                 Repu d’émotions fortes, le public quitte le stade   monde s’asseyait devant la porte des maisons.
                                                                                           dans l’année qui suit, c’est toute l’administration
                 et converge vers ses habitations. Les festivités ne   Quand une histoire était racontée à un bout de
                                                                                           française qui plie bagage à commencer
                 sont pas pour autant terminées. En bons Andalous   la rue, elle était répercutée de perron en perron
                                                                                           par l’armée, la police, les fonctionnaires, les

                 qu’ils sont, les Maârifiens ont pour            jusqu’à arriver à l’autre bout de la
                                                                                           cheminots, les enseignants, les travailleurs
                 habitude de se lever tard et de se             rue », se remémore cette veuve
                                                                                           du port, etc. Tous quittent le pays en masse.
                 coucher tard, avec un traditionnelle           qui, à l’image de l’histoire de
                                                                                           Madame Gilabert, l’une des rares Européennes
                 « siesta » durant l’après-midi. Le             son quartier, parle couramment
                                                                                           à être restées, se souvient : « Après le départ
                 quartier s’éveille ainsi au coucher            français, espagnol et arabe.
                                                                                           subit de l’administration, il y eut les vagues

                 du soleil. Dès lors, on se croit               Confirmant les dires de Madame
                                                                                           de marocanisation. Alors, les gens qui
                 à Séville ou Grenade. Le soir,                 Gilavert, Si Haddaoui, un autre
                                                                                           avaient un commerce ou une entreprise
                 les promeneurs remplissent les                 ancien du Maârif, ajoute que « le
                                                                                           recevaient un courrier comme quoi ils
                 trottoirs et les terrasses de cafés            quartier, à cette époque, était un
                                                                                           n’étaient plus propriétaire de leur entreprise.
                 sont bondées. Les habitants sont               peu la place de l’Étoile marocaine
                                                                                           C’est ainsi qu’au Maârif, les trois quarts de
                 souvent occupés par les matchs    Logo du MAS (Maarif Association Salésienne).  avec ses rues qui, venant des
                                                                                           la population sont partis en l’espace d’une
                 de quartier. Les équipes de                    quatre coins de la ville, menaient
                                                                                           dizaine d’années. Moi, je n’ai pas reçu de
                 l’époque s’appellent l’Atlas, le Tajarapis, Canigou,   vers d’autres quartiers. Le Maârif était ouvert à
                                                                                           lettre de marocanisation, alors je suis restée.
                 le Galia sport Maârifien. Les joueurs portent les   tous sans exception. Certains le critiquaient, mais

                                                                                           Je ne sais pas pourquoi ils ne m’en ont pas
                 noms de Samaritano, Vazquez, Perez, Laumier.…   ils aimaient y venir car il était accueillant. La joie
                                                                                           envoyée une. C’est peut-être parce que mon
                 Pour autant, on ne peut pas dire que les Maârifi ens   de vivre y régnait. La gentillesse des gens était
                                                                                           père est venu au Maroc en 1910, que je suis
                 vivent en dilettante. Bien au contraire. Pauvres   exemplaire ». Le modérateur du site Internet des
                                                                                           née ici et mes enfants aussi ». Beaucoup
                 en éducation, mais riches en courage et en   anciens du Maârif, le M.A.S., qui permet de garder
                                                                                           des Marocains restés dans le quartier après
                 esprit d’entreprise, les Espagnols et les Italiens   le contact dans le monde entier, rappelle que « Le
                                                                                           le départ de « Maârifi ens » ressentent le grand
                 valorisent leur savoir-faire et dominent parmi les   Maârif était le seul quartier de Casablanca où les
                                                                                           vide laissé par leurs voisins et amis. C’est le
                 petits entrepreneurs et ouvriers du bâtiment.   Marocains pouvaient fréquenter tous les lieux,
                                                                                           cas de Moulay Ali El Hassani El Alaoui qui
                 Les Espagnols, qui forment à cette époque la   bars, cinémas et magasins sans discrimination
                                                                                           témoigne sur le site des anciens du Maârif de
                 population étrangère la plus nombreuse après   raciale. Tous les Européens parlaient couramment
                                                                                           son attachement pour ses anciens voisins. Il en
                 les Français, jouent un rôle important dans la   l’arabe. Ce n’était pas le cas ailleurs. Allez voir au
                                                                                           profi te pour lancer un avis de recherche de ses
                 ville. Spécialisés dans le bâtiment, la pêche ou la   centre ville, on chassait les Arabes comme des
                                                                                           anciens camarades d’école et surtout, de son
                 réparation automobile, beaucoup d’entre eux savent   chiens. Je me souviens d’un barman du café
                                                                                           maître de classe, Monsieur Gimenes, qu’il pense
                 se rendre indispensables. Quant aux Italiens, très   Excelsior qui interdisait même aux Arabes de
                                                                                           avoir localisé à Aix-en-Provence.
                 actifs dans le bâtiment et les travaux publics, ils   passer devant la terrasse de son café ».
                                                                                              Novembre   2011    VH magazine   67
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