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UNE NOUVELLE VIE
                 LA MAISON DU BONHEUR
                 LA MAISON DU BONHEUR                                                              UNE NOUVELLE VIE
                                                                                                   La villa est alors en piteux état : les
                 La villa est à la hauteur des   de domestiques, le garage et   dîner. »  « Mon mari aimait rester
                 attentes de ses propriétaires.   sa rampe sont en sous-sol,   chez lui et il aimait recevoir, ajoute   colonnes porteuses sont affaiblies, le
                 Jean-Louis Cohen et Monique   les espaces de réception se   Colette. Donc, le dimanche, nos   mur de briques de verre qui entoure
                 Eleb la décrivent ainsi : « La   trouvent au rez-de-chaussée et les   amis débarquaient chez nous   la propriété est en ruines, le jardin de
                                                                                                   plantes cactées est à l’abandon. Et
                 légèreté et l’incisivité des brise-  espaces plus privés – chambres,   après la plage et restaient pour   puis, elle traîne une sinistre réputation…
                 soleil et des balcons, dont la   salles de bains – à l’étage. Un   dîner. » Le soir, Sami organise des   C’est pourtant sur ce lieu que Mehdi
                 blancheur est rehaussée par la   mur circulaire en briques de verre   projections dans le jardin. « Il avait   Bahraoui, PDG de Paul Maroc, jette
                                                                       un projecteur 15 mn parlant et   son dévolu. « Paul, c’est l’histoire et les
                                                                       faisait venir des fi lms des Etats-  vieilles traditions, explique-t-il. Ce qui m’a
                                                                       Unis », explique Patrick. L’armée   intéressé, c’est que cette maison fasse
                                                                       d’employés, bonnes, cuisinières,   partie du patrimoine de l’âge d’or de
                                                                       etc. participe à l’insouciance   Casablanca. C’est aussi sa conception,
                                                                       générale.                   très avant-gardiste pour l’époque. Ces
                                                                       Mais cette dolce vita est de courte   balcons qui tiennent sans poteau, par
                                                                       durée. En 1952, Sami Suissa a   exemple. » Il parvient à convaincre Paul
                                                                       le coup de foudre pour Paris et   de la nécessité de respecter la concep-
                                                                       décide de s’y installer, malgré   tion années 50 des lieux. Puis les travaux
                                                                       les résistances de sa famille qui   sont lancés, leur réalisation n’étant pas
                                                                       souhaite plus que tout retourner   une mince affaire. « Nous avons fait appel
                                                                       au Maroc. La villa, inhabitée,   à un cabinet d’architectes londonien,
                                                                       commence à se dégrader. En   Andy Martin, raconte Mehdi Bahraoui.
                                                                       1963, les Suissa décident donc de   Il a fait les plans d’aménagement sans
                   Les Suissa sortent danser tous les soirs,           la vendre.                  toucher aux fondamentaux. Nous avons
                   chez des amis ou au Nolly. Ici, Colette dans avec un ami.  Brusquement, cette demeure   notamment conservé le granit noir, la
                                                                       qui fut une maison du bonheur,   ferronnerie, le mur en dalles de verre…
                                                                                                   Par contre, nous avons ajouté des ailes
                                                                                                   de part et d’autres, l’une pour la boutique,
                                                                                                   l’autre pour la librairie. Nous avons
                                                                                                   renforcé un certain nombre de poteaux
                                                                                                   qui étaient très faibles, nous avons refait
                                                                                                   les dalles supérieures… Nous avons
                                                                                                   remplacé la piscine par une rotonde, en
                                                                                                   conservant le principe de l’arrondi. Nous
                                                                                                   avons rebâti les poteaux qui entouraient
                                                                                                   la piscine et replanté des cactus. Au
                                                                                                   niveau des modifi cations, nous avons pris
                                                                                                   soin de consulter Jean-Louis Zevaco :
                                                                                                   c’est grâce à sa signature que l’Agence
                                                                                                   urbaine nous a autorités à procéder aux
                                                                                                   travaux. » Quant aux meubles, ils sont
                   Les Suissa recevant un ami le soir
                   de l’inauguration de la villa.  Colette Suissa et des amies, le soir de l’inauguration.  faits sur mesure pour conserver l’esprit
                                                                                                   années 50.
                                                                                                   Le résultat est si réussi que Paul devient
                 pierre sombre des murs avaient   cache des regards extérieurs la   semble frappée d’une malédiction.   bientôt l’une des adresses les plus
                 de quoi frapper les esprits. Les   piscine et le jardin, placés dans   Les trois familles qui s’y succèdent   courues de Casablanca. Depuis, le
                 pièces de réception, hall, salon   l’axe de symétrie de l’ensemble ».  connaissent des destins tragiques.   succès ne s’est pas démenti. Parmi
                 et salle et manger, peuvent   Les cinq années que les Suissa   Le premier propriétaire, Monsieur   les clients réguliers, Patrick Suissa, qui
                 former les soirs de fête une   passeront dans cette maison   M… est un armateur. Sa fi lle se   revient humer l’air de son enfance et a
                 seule grande salle de bal grâce   sont de pur bonheur. « Mes   donnera la mort dans la villa. Le   même offert au nouveau propriétaire de
                 à ‘deux panneaux de glace   parents avaient une ‘famille’   deuxième, Monsieur T…, est le   la villa des photos de son inauguration. Il
                 trempée’ coulissants. Les sols   d’amis, se souvient Danièle.   frère de lait et un très proche du   devrait apprécier les projets que Mehdi
                 sont en marbre noir de Belgique   C’était un groupe rassemblant   général Oufkir. La fi n de celui-  Bahraoui met en œuvre actuellement :
                 pour les pièces principales et   une quinzaine de couples. Ils ne   ci sonne pour lui l’heure de la   à la fi n de l’année, le premier étage
                 en granito pour les autres. La   se quittaient pas. Ils sortaient   disgrâce et de l’exil. Le troisième,   reprendra vie avec l’ouverture d’un
                 présence d’un fumoir et d’un   danser ensemble ; nous les   Monsieur L., rachète la villa en   restaurant gastronomique. Six mois plus
                 boudoir et la grande place   enfants jouions ensemble ; nous   1972. Il aura la douleur de perdre   tard, c’est le sous-sol qui ressuscitera
                 accentuent la ressemblance avec   voyagions ensemble. Quand nous   une fi lle dans un accident de   avec la réouverture de la salle des fêtes,
                 l’art de vivre des demeures de   avons eu la maison, c’était pareil.   voiture et son épouse d’une   qui deviendra un espace de banquets.
                 la bourgeoisie parisienne. De la   Elle était tout le temps pleine.   maladie douloureuse. Si bien que   Il ne manquera plus qu’une chose au
                 même manière, les divisions par   Nous ne savions jamais combien   quand la franchise de boulangerie   bonheur des premiers propriétaires
                 niveaux structurent l’habitation :   de personnes seraient là pour   Paul lui propose de racheter la   du lieu : que la villa reprenne son nom
                 les services et les chambres   le déjeuner, pour le goûter et le   maison, en 2000, il n’hésite pas.   d’origine, Villa Sami Suissa.


                                                                                              Novembre   2011    VH magazine   71
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