Page 59 - VH Magazine N°114 - Novembre 2012
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DOSSIER  I I  « Marocain, Chkoun N’ta? »


                  Le soufi sme, un héritage marocain
                  De même que l’on peut
                  s’offusquer, à la lumière de
                  l’histoire du pays, des résultats
                  du sondage du PEW Research
                  Center concernant les 71% de
                  Marocains défavorables aux
                  marabouts et aux zaouïas, on
                  peut également être choqué
                  d’apprendre que, toujours selon
                  cette même étude, 41% des
                  Marocains affi rment que les
                  soufi s ne sont pas musulmans,
                  que 16% n'ont aucune idée
                  sur la question ou n'ont jamais
                  entendu parler des soufi s et qu’à
                  peine 1 Marocain sur 100 dit
                  appartenir à une confrérie soufi e.
                  Pourtant, lorsqu'on se réfère
                  à l'histoire du Maroc et que
                  l'on remonte les arbres
                  généalogiques des générations,   Séance de Dhikr.
                  on se rend compte que si,
                  certes, l'Islam sunnite a prévalu   laine que les femmes tissaient   soufi sme universel, la Qadiria et   Tariqa Qaririya et les différentes
                  sur toutes les autres formes   pour faire des djellabas. Ma   la Chadilia, s'épanouissent sur   branches de la Chadilia. Il
                  de courant de l'Islam (chiisme,   grand-mère était très douée   la terre marocaine. Citons à titre   donnera naissance ainsi à la
                  kharijisme, et sectarisme   à cette activité. Et durant les   d’exemple, quelques noms de   Tariqa Qadiriya Boutchichia
                  hétérodoxe des Berghouata   heures où elle travaillait la laine   maîtres qui forment l’ossature   qui a connu une expansion
                  et des Ghomara), ce n'est pas   dans la zaouïa, elle et les autres   du soufi sme marocain : Moulay   remarquable, puisqu’en l’espace
                  sans une certaine forme de   femmes s'accompagnaient par
                  soufi sme qu'il a gagné les cœurs   la pratique du Dhikr. Donc, sans
                  et les esprits. A ce sujet Hachim   forcément dire son nom, le
                  raconte : « Si l'Islam au Maroc est   soufi sme faisait partie intégrante
                  un Islam sunnite de rite malékite,   de la pratique de l'Islam au
                  le soufi sme a néanmoins joué   quotidien par les Marocains.
                  un rôle extrêmement important   Cela est le particularisme de
                  en marquant dans la pratique   notre Islam qui est, certes, fait
                  la vie quotidienne de nos   du respect des cinq piliers de la
                  aïeuls. Et cela, justement du   religion, mais qui est aussi fait
                  fait des zaouïas qui, en plus   de ses adkars et de ses amdahs
                  d'être des lieux de dévotion   nabawiyas dans certaines
                  religieuse, avaient aussi une   cérémonies particulières telles
                  mission éducative, médicale en   que les wadifas et qui sont liées
                  étant des dispensaires où l'on   au soufi sme ».
                  soignait les gens, et faisaient   Lorsqu'on se réfère à l'histoire du
                  œuvre de charité pour venir   soufi sme confrérique du Maroc,
                  en aide aux plus démunis. Les   on se rend compte qu’il a dix
                  zaouïas prenaient donc une   siècles de présence puisque le   Cheikh Sidi Hamza Boutchich, cheikh de la Tariqa Boutchichiya.
                  place importance dans la vie des   pays connaît depuis le 11eme
                  populations et chaque douar,   siècle des maîtres illustres,   Abd-el-Qadir Jilani qui donnera   d’une trentaine d’années elle a
                  même le plus reculé, avait sa   dont le rayonnement peut être   naissance à la Tariqa Qadiria   pu avoir une présence importante
                  zaouïa. Les populations étaient   considéré comme universel.   considérée comme la première   sur l’ensemble du royaume
                  imprégnées dans leur vie au   C’est le cas d’Abou Madyan   Tariqa soufi e de l'Islam ; Sidi   ainsi qu’une implantation sur les
                  quotidien de cette culture de la   Al Ghaout, Ibn Machich, Abou   Ahmed Tijani qui fonda la Tariqa   quatre continents, et ceci sous
                  zaouïa. Par exemple, ma grand-  Lhasan Chadili, etc. Le soufi sme   Tijaniya ; Moulay Abdessalam   la direction de son Cheikh actuel
                  mère, qui est doukkalia, est   marocain, bien que centré au   Ibn Machich, le maître de l’imam   Sidi Hamza Boutchich.
                  née près de la zaouïa Saïssiya   Maroc, a un prolongement à   Chadili ; Moulay Larbi Derkaoui   Dire que les Soufi s ne sont
                  de Doukkala. Cette zaouïa,   l’Est, jusqu’en Égypte, au Nord   qui fonda la zaouïa Derkaouia...   pas des musulmans, c'est donc
                  comme toutes les zaouïas du   (l’Andalousie mu-sulmane) et au   Plus proche de nous, au début   méconnaitre sa propre histoire
                  Maroc, pratiquait le Dhikr (le   Sud (le Sahara et les pays de   du vingtième siècle, on va trouver   et c'est là où le bât blesse pour
                  renforcement du lien avec le   l’Afrique de l’Ouest).  un autre soufi  exceptionnel, c’est   une société marocaine qui s'est
                  créateur). Cette zaouïa Saïssiya   A partir du 13éme siècle deux   Sidi Boumediane Boutchich qui   coupé de ses racines et qui, de
                  était réputée pour le travail de la   branches importantes du   va réunir dans une seule voie, la   ce fait, n'aura pas d'ailes.



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