Page 48 - VH Magazine N°114 - Novembre 2012
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Les Berbères judaïsés :    Selon cette même légende,   connu sous son nom de scène   Quand le Maroc
                  C’est le cas des Berbères   ils auraient exercé une forte   de Patrick Bruel. Bruel qui, dans
                  masmoudiens tels que les   hégémonie dans la région,   une récente interview, se défi nit   était chrétien
                  Torjman, ou encore ceux du Sud   remplaçant les Noirs chrétiens   comme juif berbère.   Tout comme le reste du Maghreb
                  marocain, dans les montagnes   descendants de Kouch (fi ls de                    et le pourtour méditerranéen,
                  du Haut Atlas, tels que les   Canaan, fi ls de Ham, fi ls de Noé),   Les juifs marocains   sous domination de la Pax
                  Ouaknine, originaires du village   fondateurs de Zagoura, qui prirent  d’origine arabe :  Romana, le Maroc a longtemps
                  d’Imzoughen, près de Tikrit dans   par la suite le statut subalterne de   Dans le dictionnaire des   été terre de chrétienté puisqu’on
                  la province d’Ouarzazate « où un   harratins.         patronymes, nous retrouvons aussi   y situe l’implantation du culte
                  ancien cimetière juif abriterait   Marquant leur préeminence   des noms juifs d’origine arabe, tels   chrétien au IIIe siècle après J.C.
                  quelques tombeaux gravés de   sur les populations berbères   que celui d’Abecassis. A  leur sujet,   Combattu par Rome, le
                                                                        Mouna Hachim écrit : « Contraction   christianisme nord-africain
                                                                        de l’arabe Ab-el-Qassis. Selon les   tente de s’émanciper de toutes
                                                                        versions : fils du prêtre (Zafrani,   les institutions païennes qui

                                                                        Larédo) ou l’homme au conte, con-  structurent la société romaine
                                                                        teur. Le nom Banou-l-Qassis était   de l’époque, les adeptes
                                                                        porté par une tribu juive de Yatrhib   chrétiens refusant de servir
                                                                        (devenue Médine avec l’Hégire),   l’empire romain et de participer
                                                                        aux côtés des Béni Nadir, Béni   aux nombreuses cérémonies
                                                                        Qorayda et Béni Thaâlaba. Est-ce   fondant la vie civique. Objet de
                                                                        de cette tribu que tiendrait son   persécutions, les chrétiens du
                                                                        nom la famille Abecassis, établie   Maghreb devront longtemps
                                                                        en Andalousie durant la conquête   lutter pour préserver leur culte.
                                                                        musulmane où ses traces sont   À la suite de la conquête de
                                                                        signalées à Cordoue et à Tolè-  toute l’Afrique du Nord par
                                                                        de ? Quoi qu’il en soit, les   les Omeyyades, à la fi n du
                                                                        Abecassis avaient pris le chemin   VIIe siècle, l’Islam prend la place
                     Berbères judaïsés du Haut Atlas marocain.          de l’exil, notamment vers le Maroc,   du christianisme des églises
                                                                        avec la chute de l’Andalousie   nord-africaines divisées par des
                                                                        musulmane et les terribles   luttes intestines en raison des
                  ce patronyme ». Egalement,   autochtones qui formèrent un   décrets d’expulsion promulgués   hérésies.
                  les Ohana, de la tribu des Bou   royaume chrétien prospère, les   par les Roi Catholiques. Ils furent   Pour autant, les traces du passé
                  Hanna, située chez les Aït Ou   juifs succombèrent fi nalement   particulièrement réputés à Tanger   chrétien du Maroc subsistent
                  Afella (entre Azrou et Midelt).  devant la pression des Sahariens   et à Tétouan, de même qu’à Rabat   encore au travers de vestiges
                  C’est le cas aussi du patronyme de   almoravides au 11e siècle, soit   et à Essaouira où ils fournirent   religieux, tels des stèles, de
                  Toati ou Tovati, du nom des oasis   trois siècles après l’installation   plusieurs rabbins.   patronymes, ainsi que dans
                  du Touat. Les juifs « y existaient   des Arabes dans la région.  Autre exemple de famille juive   certains rituels religieux, tels
                  comme nation en 260/905 »,   Comme témoignage de la   arabe venue du Moyen-Orient,   que le baptême par immersion
                  témoigne le grand savant et   prépondérance juive à Zagora, le   celle des Sasson, famille juive   dans l’eau qui, par un processus
                  voyageur du 11e/17e siècle,   nombre de forteresses peuplées   irakienne de Bagdad installée à   de syncrétisme propre à l’Islam,
                  Abou Salim Ayyachi dans sa   par les juifs, comme le Qsar   Tafi lalt, puis à Fès. Les Sasson du   perdurent jusqu’à aujourd’hui,
                  fameuse relation de voyage.  Hayyoun, le Qsar Beni Sabih,   Maroc s’illustrèrent particulièrement   notamment dans certains
                  C’est le cas aussi du patronyme   ainsi que les ruines, cimetières   à Fès avec leurs couturiers, ainsi   moussems.
                  Zagoury qui, comme le rappelle   et traces archéologiques dans la   que le relate Albert Sasson dans   Pour les patronymes, on retrouve
                  la généologue, est « porté sous   région. Sans oublier les familles   son ouvrage Les couturiers du   ainsi ceux d’el Aïssi (de Aïssa
                  cette forme par des familles   qui adoptèrent l’ethnique Zagury   sultan : itinéraire d’une famille juive   Jésus), de Yhayaoui (identifi é à
                  juives originaires de la ville de   sous ses différentes variantes   marocaine ».  St Jean-Baptiste), de Aït Idder
                  Zagora, surplombant, au sommet   en souvenir d’une origine plus ou              (fi ls de Yidhir, prénom et adjectif
                  d’un piton rocheux, la vallée du   moins lointaine ».  Les megorashim ou        signifi ant « Le vivant », désignant
                  Draâ. Occupant un emplacement   Autre patronymes juifs du Sud   « juifs expulsés »  selon certains l’apôtre de Jésus,
                  stratégique privilégié de   marocain, dans la vallée du Draâ,   Parmi les patronymes des juifs   Yahya, dit Jean-Baptiste),
                  carrefour reliant l’Est à l’Ouest   les Levi.         expulsés d’Europe lors de la   Aït Ichou (fi ls de Yeho-shu’a,
                  et le Sud au Nord, Zagora est   Dans les montagnes de l’Atlas,   Reconquista, nous retrouvons   signifi ant en araméen « Dieu
                  également considérée comme   on retrouve aussi des familles   des juifs séfarades tels que   sauve » attribué au Prophète
                  une des dernières étapes entre la   juives berbères, telles que celles   les Marciano de Murcie,   Jésus), Qarmoudi...
                  palmeraie et le désert.    originaires de la ville d’Illigh ou   les Toledano de Tolède, les   Mais c’est dans la fameuse
                  Concernant sa population juive,   celles originaires de la tribu   Khalfoun, les Mouyal, les Ben   légende dorée des Régraga que
                  un prétendu manuscrit du   Ghighia, située sur l’Oued Tansift   Attar, les Perez, les Pinto, les   le passé chrétien du Maroc est le
                  Dadès du 12e siècle (censé être   et dont sont orginaires les Ben   Serero d’Andalou-sie ; les Siboni   plus vivant, légende qui, comme
                  perdu en 1931), de même que   Guigui. Mouna Hachim rappelle   de Lisbonne, les Berdugo du   le rappelle Mouna Hachim, en
                  des traditions juives populaires   qu’un des descendants de ladite   Portugal ; les Scali de Sicile et   fait « des Haouariyoun (apôtres)
                  rapportent le peuplement du Draâ   famille installée à Meknès n’est   les Karoutchi d’Italie. Parmi les   de Jésus fi ls de Marie par
                  par les juifs depuis le règne du roi   autre que Maurice Benguigui,   juifs ashkénazes nous pouvons   l’intermédiaire de son apôtre Sidi
                  Salomon.                   né en 1959 à Tlemcen, plus   citer les Serfaty de France.   Yahya (St Jean-Baptiste).



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