Page 49 - VH Magazine N°114 - Novembre 2012
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DOSSIER I I « Marocain, Chkoun N’ta? »
Des rites et des chants observés Qarmoudi, Hachim indique grands ancêtres des Regraga, par immersion dans l’eau.
lors de leur moussem annuel par que « c’est un patronyme persécutés en Andalousie pour Peut-être faut-il voir dans cette
Abdelkader Mana, consignés particulièrement réputé chez leur foi monothéiste à l’époque légende le souvenir de cultes et
dans son célèbre ouvrage sur les membres de la zaouia ante-islamique. Ils auraient de réminiscences bibliques avant
les Regraga, rappelleraient d’Aqarmoud, située chez les alors fui par voir de mer pour l’Islam ».
d’ailleurs étrangement l’épisode Ait Aïssa, en pays Chiadma accoster à Aguz à l’embouchure Au sujet de la forme de
biblique de la Table servie ». En (province d’Essaouira), et dont de l’Oued Tensift où ils auraient christianisme adoptée au
effet, à ce sujet, Mana écrit : les membres s’illustrèrent fondé une mosquée, appelée en Maroc, Mouna Hachim écrit
« Selon une vieille légende, les par leur mysticisme et par berbère Timzkden N’houren (La sous le patronyme de Tangi
Regraga pratiquaient la pêche que « des révoltes berbères
en mer avec des olives piquées viennent attester que la Pax
à des hameçons. Apparut Sidna Romana était diversement
Aïssa, il demanda à ces hommes appréciée par les populations
de le suivre. Ils partirent et en locales. L’un des symboles
route, ils eurent faim. Sidna de cette révolte fut l’adoption
Aïssa se mit en prière et, à deux de schismes hétérodoxes
reprises, une table descendit comme le donatisme, marquant
du ciel ; une première fois avec la particularisme berbère
du raisin et du pain, la seconde et son autonomisme par
fois avec du poisson, du rapport à la nouvelle religion
sel et du pain. Ces miracles offi cielle de l’Empire qu’était le
convainquirent les Regraga christianisme et qui avait doté
et ils se fi rent chrétiens. Ils Tingis (Tanger) d’un évêché.
se vêtirent désormais de blanc, Mais les grandes invasion des
se chaussèrent avec du doum peuples germaniques vandales
tressé et prirent comme chef sonna le glas d’une suprématie
un apôtre : Chamoun (Simon). romaine en déliquescence.
Une basilique fut édifi ée au Malgré les tentatives de l’Empire
bord de l’oued Tensift. Les Romain d’Orient, dit byzantin,
Regraga vécurent quelque de conserver intact l’Empire, il
temps en paix, faisant sans ne put empêcher l’organisation
doute du commerce avec les de principautés berbères
Romains de la côte, comme indépendantes. Les habitants
les Zegrenzen, plus à l’Est, le autochtones sont représentés
faisaient avec ceux de Volubilis en cette région par les tribus
– un descendant de Chamoun Les moines guerriers berbères regraga, christianisés, sont allés Ghomara, des sédentaires du
Ouadah (Judas) fut le dernier à la rencontre du Prophète Mohammed à l’avènement de l’Islam. groupe Masmouda. Très vaste, le
souverain chrétien qui régna sur DR. territoire des Ghomara, couvrait
toute la région du Ten-sift ». dans un premier temps tout le
Cette légende des Regraga fait leur savoir. Selon les tradition Mosquée des apôtres). » Rif, pour s’étendre le long de
d’ailleurs également la jonction anciennes, la zaouïa aurait Pour ce qui est du rite du la côte méditerranéenne, de la
avec la légende de l’avènement été fondée par Sidi Boubker baptême, Mouna Hachim indique Moulouya jusqu’à l’Atlantique,
de l’Islam au Maroc, puisqu’elle Chemass, un des sept saints à ce sujet, sour le patronyme et de là, descendait jusqu’à
Yahyaoui : « De Yahya, nom avoisiner l’actuelle Chaouia,
englobant la notion de vie. près de leurs frères Berghwata.
les traces du passé chrétien du Maroc Particulièrement renommé Traînant une réputation de
dans l’Oriental, le nom de Sidi rebelles farouchement attachés
subsistent encore par un processus Yahya est attribué à une oasis à leur indépendance, les
de syncrétisme propre à l’Islam dans réputée pour ses eaux thermales, Ghomara étaient christianisés,
ses plantes luxuriantes et ses pour certains d’entre eux, à
certains Moussems. sanctuaires, dont l’un des plus l’arrivée des troupes arabes sous
célèbres est incontestablement le commandement du général
celui du saint éponyme Sidi Oqba Ibn Nafi î en 681. Leur
atteste avec vigueur, comme des Regraga rendus célèbres Yahya. Les musulmans l’honorent émir était alors Ilyan ou Yulyan
l’indique le titre du livre d’un dans une persistante et vieille depuis les temps lointains pour (le compte Julien) qui gouvernait
clerc regragui L’épée dégainée légende qui leur accorde la sa dévotion et pour sa baraka Sebta et Tanger. Selon les
face à quiconque doute visite du prophète en Arabie et lui consacrent un grand chroniques anciennes, Yulyan
de la visite des Regraga et l’islamisation de leur tribu moussem annuel, tandis que aida les troupes de l’affranchi
au Prophète, que ce sont avant l’arrivée au Maghreb des les juifs y voient le sanctuaire berbère Tariq Ibn Ziyad à la
ces mêmes moines guerriers troupes arabo-musulmanes... d’un rabbin castillan arrivé dans conquête de l’Andalousie, alors
regraga, christianisés, qui sont Sidi Boubker Chemass aurait la région au 14e siècle. Certain sous domination wisigothe pour
allés à la rencontre du Prophète été un apôtre de Sidna Aïssa n’hésitent pas à identifi er Sidi venger l’honneur de sa fi lle
Mohammed à l’avènement (Jésus) et aurait fait partie, avec Yahya à Saint Jean-Baptiste qui Florinda déshonorée par le roi
de l’Islam. Au patronyme d’autres condisciples, des quatre pratiquait le baptême du repentir Rodéric ».
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