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CASABLANCA 1920 -1970 I I Cabarets
LES NUITS CHAUDES DE CASA
LES NUITS CHAUDES DE CASA
INDUSTRIEUSE LE JOUR, CASABLANCA SE MUAIT LA NUIT EN UNE VILLE HÉDONISTE OÙ, AU SON DE TOUTES LES MUSIQUES, TOUTES LES
EXTRAVAGANCES ÉTAIENT PERMISES.
ès le début du XXème La diva Line Monty.
siècle, l’ancienne
médina comptait
d’innombrables
Dlieux de fête, de
plaisir et de jouissance. Au Café
Glacier, on assistait à des concerts
philharmoniques. A l’Olympia, on
appréciait les vedettes débarquées
la veille de la métropole. A la Villa
des Fleurs, dancing de la rue du
capitaine Ihler, les bouteilles de
champagne à 25 francs coulaient
à fl ot. Des danseuses légèrement
vêtues s’y déhanchaient jusqu’au
petit matin. Même ambiance au
théâtre music-hall La Sqala, à
Salim Halali en plein action au Coq d’Or.
l’Eldorado et aux Charmilles, ces
deux derniers ayant été transformés,
quelques années après, en cinémas
le Régent et l’Apollo. Au fameux
Anfa Club, rue d’Anfa, on valsait
dans un décor mauresque, le
temps d’un mémorable bal, ou on
se faisait une partie de bridge entre
Français, Allemands et Anglais. La
communauté espagnole avait ses
Hajja Hamdaouia avec Bouchaib Bidaoui et Aziz Alami.
lieux, dont le Circulo Mercantile, (coll. Maurice Médioni)
tout comme la taverne royale de
LA LÉGENDE DU COQ D’OR
Manca ou le bar la Bodega, place LA LÉGENDE DU COQ D’OR
de l’immeuble Branshwing. Les
anciens Casablancais n’ont pas Le fl euron de ces folles nuits draperies de velours tissé d’or, toujours à l’œuvre au Cintra, rue
attendu la Movida pour s’offrir tapas casablancais fut sans conteste le bibelots et tableaux orientalistes Allal Ben Abdellah. Ils entament
et complaintes fl amencas. Coq d’Or. Chaque soir, de grosses de valeur. Pendant les mois de la soirée par des airs d’ambiance
Pour les amateurs de chaabi, c’est caisses américaines traversent Ramadan, quand disparaissent et les deux garçons, les David, le
dans le quartier réservé de Bousbir, diffi cilement l’étroite ruelle du du comptoir et des tables les gros et le mince, sautent tels des
du nom du propriétaire du terrain, Commandant Provost pour bouteilles de spiritueux, le thé à la moineaux de table en table. Ils
Prosper Ferriau, qu’il fallait aller. décharger, quelques centaines menthe est servi dans des verres servent les whiskies de grandes
Les chants, tam-tam et ghenbri de mètres plus loin, une clientèle de cristal, d’authentiques Saint- marques, les champagnes Cordon
y résonnaient jour et nuit. En ces distinguée en costards et tenues Louis dont la valeur est estimée Rouge et les vins de terroir,
temps-là, les Chikhat avaient leur de soirée. De l’extérieur, la bâtisse aujourd’hui, chez les antiquaires, à ainsi que des petits plats, de
Amin, les Rwayès leurs mécènes, cache, à l’instar des maisons plus de 1.500 dh l’unité. succulentes tapas à l’espagnol.
les Haj Abed ou Haj Brahim mauresques, ses mystères. C’est Vers 22h, l’un des plus prestigieux Quant aux menus gastronomiques,
Bissmmarn, richissimes Soussis une fois la lourde porte en bois orchestres qu’a connus l’histoire ils se concoctent sur commande.
débarqués à Casa vers 1905. franchie, l’étroit couloir traversé, moderne du Maroc s’installe. En Le chef n’est autre que Salim
Bent Hniyya défrayait la chronique. qu’on se retrouve dans la salle provenance du Maroc et d’ailleurs, Halali lui-même, qui mijote poisson,
Femme publique et Chikha, ses principale de l’établissement. A les plus grands musiciens juifs et tagines et tangias. Khaddouj
morceaux célébraient Dikr et Ayta. gauche, il y a le bar où offi cie musulmans ont travaillé chez Salim Toubis, alias Doudou, un « khwal-
Bent Hniyya est morte en 1939, à la caisse Pierre, que tout le Halali. Citons le virtuose du qanoun zi » ou « travelo » dans le langage
assassinée par un amant jaloux, monde appelle affectueusement (cithare) Salim Azra, le luthiste de Pigalle, délaisse la danse et la
un légionnaire français, alcoolique, « Papa ». En face, la scène et les Amr Tantaoui, l’accordéoniste Elie scène pour venir donner un coup
fougueux et déserteur. Quant musiciens. Sur les côtés, les salons Kakon, le contrebassiste Abdeljalil, de main aux cuisines. Comment
aux Bidaoui fortunés, c’est au latéraux. L’ensemble est décoré les violonistes Mokhtari, Jacob oublier les morceaux de poulets de
café Tarzan qu’ils fl ambèrent, des avec beaucoup de goût : tapis de Botbol, le Kibbou juif, sans oublier Bresse, cuits à la vapeur et servis
années plus tard, leur fric et vie… Perse, lustres de Bohême, tables les Aziz Alami, Driss el Oujdi, froids accompagnant les fl ûtes de
et chaises de style authentique, Mustapha Hariri et autre Sekkat, champagne ?
84 VH magazine Novembre 2011

