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LA COUV’ I I Destins brisés
Abdessalam Amer
MORT À CRÉDIT !
passion, le maître l’invite aux compose, avec la complicité de qui s’acheta une voiture
soirées qu’il anime. A l’école, il Abderrafiaa Jawhari, « Miaad », en vendant son bracelet, il
s’initie à la poésie. Ne pouvant « Al Kamar al ahmar », chantés fait la navette entre la cité
pas lire, dés qu’on lui dicte par Abdelhadi Belkhiat. blanche et Rabat pour les
une phrase, il l’apprend en Mis au chômage et interdit répétions, les enregistrements
la composant, pour ne pas d’entrée aux locaux de la radio et l’animation de l’émission
l’oublier. D’une mémoire télévision après avoir critiqué radiophonique « Hakibat al
phénoménale, il réussit à ses musiciens en retard parce arbiaa ». Le 10 juillet 1971,
décrocher son certifi cat qu’ils avaient passé la soirée c’est une nouvelle fois la
d’études primaires et son chez un haut dignitaire, Amer, malchance. Ce jour là, la voix
brevet au collège. Laissant de en compagnie de Abdelhadi de Amer annonce, en boucle,
coté une carrière d’instituteur, Belkhiat, Abdelhay Skalli et sur les ondes de la radio
il décide de devenir un grand Abderrahim Amine, quitte le nationale, « l’armée, je dis
musicien. Maroc pour l’Egypte. Depuis l’armée…elle vient de mener
C’est Mohamed Driss Cherradi, son enfance, il rêvait de ce la révolution pour le bien du
l’un des premiers grands moment, lui le fan de Nasser peuple. La monarchie est
Orphelin, aveugle, musiciens marocains qui a et le client assidu de « Sawt al finie ». Le coup d’Etat échoue,
chopant maladie sur enseigné au conservatoire de arabe », la radio de propagande le compositeur est emprisonné
maladie… Rabat et qui a dirigé ceux de du panarabisme que le Rais pour interrogatoire. Il ne s’en
Un génial compositeur Larache et de Tanger, qui lui a lancé en 1952. Après des sort que grâce à l’intervention
qui nous lègue une a conseillé d’aller tenter sa escales en Algérie, Tunisie et du prince Moulay Abdallah. Ce
œuvre inachevée. chance dans la capitale après Libye, les quatre mousquetaires fut sa fin. Banni, ses œuvres
Il avait 40 ans. avoir écouté ses premières débarquent au Caire retrouvant, interdites de diffusion et les
créations. Mal voyant, inconnu, entre autres, le poète Hassan amis qui le fuient. Il sombre
on lui refuse l’entrée au siège Moufti. Ils enregistrent une dans la dépression. Dans
bdessalam Amer est de la radio télévision nationale. vingtaine de chansons en l’attente des jours meilleurs,
né le 1er avril 1939 à Abderrafiaa Jawhari l’introduit dialecte marocain pour « Sawt il enchaîne les refrains à la
AKsar El Kebir, ville du et lui présente journalistes al arabe », collaborent avec les gloire du roi. Tombé malade, il
nord du Maroc, imprégnée du et musiciens. Mais Ahmed El poètes égyptiens Mustapha succombe, malgré les soins
rêve andalou. Enfant unique, Il
perd son père, Omar Chouli,
militaire au sein de l’armée
espagnole qui a guerroyé BANNI, SES ŒUVRES INTERDITES DE DIFFUSION ET LES AMIS QUI LE FUIENT. IL SOMBRE DANS
pendant la guerre civile, et vit LA DÉPRESSION. DANS L’ATTENTE DES JOURS MEILLEURS, IL ENCHAÎNE LES REFRAINS À LA
seul avec sa mère Khadouj GLOIRE DU ROI. TOMBÉ MALADE, IL SUCCOMBE, MALGRÉ LES SOINS PAYÉS PAR HASSAN II, LE
Tajni. A cause d’une maladie
mal soignée, il devient aveugle 3 MAI 1979 À L’HÔPITAL IBN SINA DE RABAT. FIN…D’UN CALVAIRE.
et la musique devient sa
passion et sa boussole dans la Bidaoui, chef de service de Abderrahmane, Farouk payés par Hassan II, le 3 mai
vie. Parallèlement à ses études la musique et président des Choucha et Rouhia Lakliti. La 1979 à l’hôpital Ibn Sina de
qu’il tenait à poursuivre comme commissions de paroles et de guerre de 1967 met fin à leurs Rabat. Fin…d’un calvaire.
un enfant normal malgré son compositions, lui refuse l’accès grands projets. Amer rêvait de
handicap, il passait son temps à l’orchestre national. Amer n’a composer pour Oum Kaltoum BIBLIO.
devant les boutiques de Si fait aucune étude musicale et un texte de Salah Chahine. Publié, au départ, en feuilleton
dans le quotidien « Al ahdath al
Hasnaoui, du coiffeur Abrak ne joue d’aucun instrument ! Au retour, ils n’avaient dans
maghribia » au cours du mois de
et du Cheikh Chérif Roussi Il rejoint alors l’orchestre de leurs valises, que « Mawakib
juillet 2003, le livre « Al moussikar
Houssaini, l’un des maîtres de Fès où Ahmed Chajaii est plus annasr », chant patriotique
Abdessalam Amer.. » est sorti en
la musique andalouse de la compréhensible. L’intervention dédié au roi Hassan II. 2004. Une minutieuse enquête,
ville, à écouter la radio. C’est de Abdelouahab Doukkali dans Une fois au Maroc, les amis se menée avec patience et profes-
ainsi qu’il apprit et ne cesse sa vie fut décisive. Il lui chante séparent, les projets s’envolent. sionnalisme, par notre confrère
de fredonner les classiques coup sur coup deux petites Abdessalem Amer habite Lahcen Warigh qui a fouiné dans
arabes, les Abdelouahab, merveilles, « Akher ah » et un quartier périphérique de les archives de la radio, de la télé-
Oum Kaltoum et autre Farid « Habibati ». Et c’est le retour, Casablanca. Grâce à Fatima vision, interviewé famille, profes-
Al Atrache. Remarquant sa en triomphe, à Rabat où il Afi fi, sa deuxième épouse sionnels et amis.
4 VH magazine Juillet 2014