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LES HABITANTS
JACQUES LEMAIGRE DUBREIL, UN MARTYR DE LA CAUSE MAROCAINE
JACQUES LEMAIGRE DUBREIL,
Parmi les actionnaires de la Société
Anonyme « Immeuble Liberté » constituée
en 1948, réservée aux seuls Français
et dont les m² sont allotis au prorata du
nombre d’actions possédées, fi gure une
des personnalités les plus importantes
du monde des affaires et de la politique
de l’époque, Jacques Lemaigre-Dubreuil.
Cet important industriel (époux de
l’héritière des huiles Lesieur), directeur
du quotidien Maroc-Presse et proche
de Mendès-France, aura été la victime
des errements de la IVe République
française et sa mort précipitera la fi n
du Protectorat au Maroc. En effet, le
propriétaire de l’appartement du 17e étage
de l’immeuble Liberté était, par lucidité et
pragmatisme, un farouche partisan de
l’indépendance du Maroc. Ancien membre
de l’organisation des libéraux de France,
il fi t partie de la poignée de Français du
Maroc qui osa réclamer « un changement
de politique ». Le 11 mai 1954, le quotidien
Maroc-Presse (dont il est le propriétaire)
publie à la « une » une lettre ouverte à courage exemplaire et qui, depuis des
René Coty, président de la République mois, se savait menacé. En effet, selon
française, une condamnation implacable Mohamed M’jid qui le raconte dans le
de la conduite des affaires marocaines : quatrième chapitre de ses mémoires :
« L’intimidation érigée en politique depuis « C’est l’amitié qu’entretenait Lemaigre-
plusieurs années risque de compromettre Dubreuil avec les nationalistes marocains
tout rapprochement des Français et des qui lui a coûté la vie. Un soir, des éléments
Marocains ». du quartier Maârif, qui était alors très
Les 75 signataires demandent de cosmopolite, sont venus défoncer la porte
« libérer sans délai ceux (marocains) qui de son appartement dans l’intention de
ne sont détenus qu’en raison de leurs Président du Conseil, Edgar Faure. La le tuer. Et comme il était seul et armé, il
seules opinions politiques ». Le 11 juin Studebaker de Jacques Lemaigre-Dubreuil a tiré sur le premier élément entré dans
1955, il est assassiné (13 balles tirées fut donnée au musée national de la son appartement, un Espagnol qui est
à la mitraillette dans le dos) au bas de Résistance de Rabat. Elle portait encore mort, ce qui déclencha un tollé parmi la
l’immeuble Liberté, alors qu’il s’apprêtait les impacts de balles. Ses obsèques communauté espagnole de Casablanca ».
à monter à bord de sa voiture, par des eurent lieu à Casablanca, le 14 juin, à Son nom, Lemaigre-Dubreuil, a été donné
tueurs de la « Main Rouge » (des gens de l’église du Sacré-Cœur, devant des milliers à la place, au bas de l’immeuble Liberté, où
« Présence Française », prédécesseurs de Marocains venus témoigner de leur il fut assassiné, un ultime hommage à un
de l’OAS), probablement sur ordre du reconnaissance envers cet homme au homme mort pour une juste cause.
L’ARCHITECTE :
LÉONARD MORANDI, UN VISIONNAIRE
LÉONARD MORANDI
Architecte suisse ayant pratiqué à Casablanca de 1948 à 1956, puis à Paris. Ses principaux
projets au Maroc sont l’immeuble Liberté, le Crédit marocain (27, bd Moulay Youssef), la
transformation de la piscine Le Lido en 1954, l’immeuble
des studios pour Le Glaoui (bd de la Gare) en 1952, la
Chapelle de la cité Ohana, bd Moulay Youssef... Du fait de
la détérioration de la plaque en cuivre indiquant le nom de
l’architecte sur l’immeuble Liberté, son fi ls, Philip, a écrit en
2005 sur la page Internet dédiée à son père : « Si vous
pouviez me dire si le nom de mon père et la date de construction qui sont écrits en chiffres et en
lettres de cuivre en haut à gauche de la porte principale n’ont pas été restaurés, j’aimerais bien
contacter le syndic de l’immeuble pour le faire faire à mes frais. » Dont acte.
Novembre 2011 VH magazine 73

